mardi

Saint Bernard de Clairvaux et les mauvais pasteurs

Voici une homélie percutante, comme seuls les véritables saints savent en produire. Et bien qu’ayant été écrite et prononcée au 12e siècle par le célèbre abbé de Clairvaux, cette homélie n’a pas pris une seule ride. (Source : Sermon 77, sur le Cantique des Cantiques)
 
   
Or ça, nous sommes à notre poste ; nous avons vu hier quels sont les conducteurs que nous souhaiterions avoir dans les chemins où nous marchons, mais non pas quels sont ceux que nous avons. Ils sont bien différents des premiers. Tous ceux que vous voyez aujourd’hui autour de l’Épouse et comme à ses côtés, ne sont pas amis de l’Époux. Il y en a très peu parmi eux qui ne cherchent point leurs propres intérêts. Ils aiment les présents, et ils ne peuvent pas aimer également Jésus-Christ, parce qu’ils ont donné les mains aux richesses. Voyez comment ils sont : brillants et parés, vêtus comme une épouse qui sort de la chambre nuptiale. Si vous en voyez un de cette sorte venir de loin, ne le prendriez-vous pas plutôt pour l’Épouse que pour un gardien de l’Epoux. Mais d’où croyez-vous que leur vie eût cette abondance de toutes choses, cette magnificence dans les habits, ce luxe de table, ces monceaux de vaisselle d’or et d’argent, sinon des biens de l’Épouse. Voilà pourquoi elle est pauvre, indigente, et pourquoi elle a un extérieur si misérable, si négligé, si pâle et si défait. Certes, ce n’est pas là aimer l’Épouse, mais la dépouiller ; ce n’est pas la garder, mais la détruire ; ce n’est pas la défendre, mais l’exposer ; ce n’est pas l’instituer, mais la prostituer ; ce n’est pas paître le troupeau, mais c’est le maltraiter, le dévorer. Selon cette parole du Seigneur : « Ils dévorent mon peuple comme ils feraient d’un morceau de pain » (Psal. XIII, 4). Et : « Ils ont dévoré Jacob et désolé sa demeure » (Psa. LXXVIII, 7). Et dans une autre prophétie : « Ils mangeront les péchés de mon peuple » (Isa. V, 8), c’est-à-dire, ils exigent le prix des péchés, et ils n’ont pas soin des pécheurs. Qui trouverez-vous, parmi ceux qui sont préposés au gouvernement de l’Église, qui ne songe pas plutôt à vider la bourse, qu’à extirper les vices de ceux qui lui sont soumis ? Où sont ceux qui fléchissent la colère de Dieu par leurs prières, qui apprennent aux âmes à ménager les miséricordes du Seigneur ? Encore, ne parlons-nous que des moindres maux, ils en font de beaucoup plus grands, dont ils seront bien sévèrement punis.


   Mais c’est en vain. Cessons de leur parler, puisqu’ils ne nous entendent pas. Et quand même ce que nous disons serait mis par écrit, ils dédaigneront de le lire ; ou s’ils le lisent, ils se fâcheront contre moi, quoiqu’ils devraient bien plutôt se fâcher contre eux-mêmes. Laissons donc ces hommes, qui ne trouvent pas l’Épouse, mais qui la vendent, et considérons plutôt ceux par qui l’Épouse dit qu’elle a été trouvée. Ceux d’à présent ont bien hérité de leur ministère, mais non pas de leur zèle. Tous désirent leur succéder, mais peu les imiter. O qu’il serait à souhaiter qu’ils fussent aussi vigilants à s’acquitter des fonctions de leurs charges, qu’ils sont ardents à briguer leurs chaires. Si cela était, ils veilleraient avec bien plus de soin qu’ils ne le font à garder celle qu’ils ont trouvée, et qui leur a été commise. Ou plutôt ils veilleraient sur eux-mêmes, et ne donneraient pas sujet de dire d’eux. : « Mes amis et mes proches se sont approchés de moi pour me combattre » (Psal. XXXVII, 12). Cette plainte est sans doute très-juste, et elle ne peut plus justement convenir qu’à notre siècle. Nos sentinelles ne se contentent pas de ne nous point garder, elles nous perdent. Car ensevelies dans un profond sommeil, elles ne s’éveillent point au tonnerre des menaces du Seigneur, pour redouter au moins leur propre péril. De là vient qu’étant impitoyables pour elles-mêmes, elles n’ont garde d’avoir de la pitié pour ceux qui leur appartiennent, elles les font périr, et périssent avec eux.