mardi

La construction Européenne


L'Union Européenne et l'Eglise


Les chrétiens, acteurs de l'Europe

Interview de Maurice Schumann sur le Concile


Discours du Pape François au Parlement Européen

Discours du Pape François au Conseil de l'Europe


Interview du Pape François au retour du Parlement Européen

La réflexion du Pape Benoit XVI sur l'Europe

   
Que dit le choix du nom de Benoît XVI sur l’Europe ?

En choisissant de s’appeler Benoît XVI, le Cardinal Ratzinger inscrit son Pontificat dans une Tradition marquée d’abord par Saint Benoît, fondateur du Monachisme en Occident. Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles ! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute. Benoît XVI a expliqué ce choix lors de l’audience générale du 9 avril 2008.

  
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8) ; en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne.

Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe.

Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XXe siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre l’humanisme véritable. »

 Source : Audience générale du Pape le 9 avril 2008 : Saint Benoît et l’Europe


Quel était le lien entre Benoît XV et l’Europe ?

En choisissant de s’appeler Benoît XVI, le nouveau pape a aussi attiré l’attention sur la grande figure du Pape Benoît XV, très méconnue en France, à cause de son engagement pour la paix pendant la guerre de 1914/1918. Cet engagement lui a valu, en France, le surnom infamant de « Pape Boche ! ».

In te , Domine, speravi; non confundar in aeternum! Telle était la devise de Benoît XV, pape de 1914 à 1922, devise qu’il avait tirée du psaume 70 (71). Le nouveau pape Benoît XVI l’a faite sienne lorsqu’il a présenté – c’est l’expression qu’il a employée – «quelques aspects» de son programme de gouvernement. Ces mots se réfèrent évidemment au message qu’il a adressé aux cardinaux le lendemain de son élection, toujours dans la chapelle Sixtine, le 20 avril dernier. Benoît XVI a cité la devise de son prédécesseur pour exprimer son «humble abandon entre les mains de la Providence de Dieu» et son «adhésion totale et confiante au Christ». Il s’agit d’une interprétation biblique qui était aussi celle de son prédécesseur Benoît XV; et l’on pourrait bien appliquer à ce dernier les mots prononcés par Joseph Ratzinger au cours de l’homélie par laquelle il a inauguré son ministère pétrinien, le 24 avril dernier: «ne pas faire ma volonté, ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Église, me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire».

Benoît XV – et c’est peut-être la raison de sa gloire terrestre – a été pleinement à la hauteur de son temps. Au cours de son bref pontificat ont eu lieu la Première Guerre mondiale (avec ses séquelles de rancœurs nationalistes), l’écroulement des quatre empires de l’Europe continentale (l’empire allemand, l’empire ottoman, celui des tsars et celui des Habsbourg), le génocide des Arméniens et d’autres chrétiens, y compris de nombreux catholiques. L’époque de Benoît XV a été marquée par la révolution bolchevique, mais aussi par la virulence de nationalismes exaspérés. Benoît XV a eu pour contemporains des personnages comme Lénine et Wilson avec lesquels il a dû se mesurer, et pas seulement dans la compétition indirecte pour la notoriété publique.

Benoît XV est considéré comme « le Pape de la paix ». Cette réputation lui vient de ce qu’il s’est constamment élevé contre la guerre. Son magistère est en effet marqué par une série de condamnations de la Grande Guerre, définie successivement comme «spectacle monstrueux», «épouvantable fléau», «horrible carnage», «suicide de l’Europe civile», «tragédie de la démence humaine», pour arriver à l’ «inutile massacre» de l’appel de paix adressé par le Pape aux gouvernements belligérants en 1917. Cette inflexible condamnation de la Première Guerre mondiale n’entendait pas innover sur le plan théologique la doctrine de l’Église à propos des faits de guerre, mais exprimait avant tout la répulsion humaine et chrétienne devant un événement désastreux, porteur de sang et de deuils. Dans une Europe traversée par les fureurs guerrières et le déferlement des chauvinismes, la définition de la guerre comme «inutile massacre» a valu à Benoît XV l’aversion de toutes les classes dirigeantes des pays engagés dans le conflit. Sur l’un ou l’autre front, de nombreux dirigeants catholiques ont eux-mêmes rejeté les demandes de paix du Souverain Pontife. Ne faisant qu’un avec leurs gouvernements, ils exigeaient comme seule paix possible celle de la victoire et de l’anéantissement de l’ennemi. Une véritable campagne de dénigrement a été mise en œuvre contre Benoît XV dans les pays en guerre. L’accueil réservé à ses interventions a été tout différent dans les masses populaires catholiques et socialistes, ces dernières trahies par leurs leaders soumis aux politiques de guerre de leurs gouvernements.

C’est en 1920 qu’allait paraître la première encyclique qu’un pape ait consacrée à la paix, Pacem Dei munus, qui affirmait l’exigence d’une réconciliation entre vainqueurs et vaincus. On trouve conservée dans les archives du Vatican une note écrite par Benoît XV – c’est une rareté, parce que ce Pape n’avait pas l’habitude de communiquer par écrit avec ses collaborateurs et ne prenait pas note de ses idées – de laquelle on peut déduire qu’il ne croyait à aucune « victoire » ou solution de force: «Dans toute guerre», écrit-il, «pour arriver à la paix, on a dû mettre fin au propos d’écraser l’adversaire: mettre l’adversaire dans la condition de ne plus tenter l’épreuve est une sottise, parce que l’épreuve pourra être tentée de nouveau quelque temps après, soit parce que l’adversaire aura réellement reconquis ses forces, soit parce qu’il aura cru les avoir reconquises. Les guerres existeront non pas tant qu’il y aura la force, mais tant qu’il y aura la cupidité humaine». Benoît XV, infatigable chercheur de solutions pacifiques, croyait à la sagesse des médiations diplomatiques et surtout à la réconciliation entre ennemis.

Source : Andrea Riccardi, Mensuel 30 jours. Mai 2005


Quelle est la position de Benoît XVI sur la construction européenne ?

 Le pape a exposé ses idées sur l’élargissement de l’Europe à l’occasion d’un discours devant le corps diplomatique à Vienne, le 7 septembre 2007.

(…) L’Autriche et l’élargissement de l’Europe

Nous nous trouvons ici dans un lieu historique, à partir duquel, pendant des siècles, a été gouverné un empire qui a uni de vastes parties de l’Europe centrale et orientale. Le lieu où nous sommes et le moment que nous vivons nous offrent donc une occasion providentielle pour fixer notre regard sur toute l’Europe d’aujourd’hui. Après les horreurs de la guerre et les expériences traumatisantes du totalitarisme et de la dictature, l’Europe a entrepris le chemin vers une unité du Continent, qui tend à assurer un ordre durable de paix et de développement juste. La division qui, pendant des décennies, a déchiré le Continent de manière douloureuse est, il est vrai, surmontée sur le plan politique, mais l’unité reste encore en grande partie à réaliser dans l’esprit et dans le cœur des personnes. Même si, après la chute du rideau de fer en 1989, une certaine espérance excessive a pu laisser place à la déception, et si, sur quelques aspects, il est possible de formuler des critiques justifiées vis-à-vis de quelques institutions européennes, le processus d’unification est de toute façon une œuvre d’une grande portée qui a permis à ce Continent, longtemps miné par des conflits continuels et des guerres fratricides désastreuses, de vivre une période de paix qu’il n’avait pas connue depuis longtemps. En particulier, la participation à ce processus constitue pour les Pays d’Europe centrale et orientale un stimulant ultérieur pour consolider chez eux la liberté, l’état de droit et la démocratie. Je voudrais rappeler à ce propos la contribution que mon Prédécesseur le Pape Jean-Paul II a apportée à ce processus historique. L’Autriche, qui se trouve aux confins de l’Occident et de l’Orient d’alors, a également, comme pays-pont, beaucoup contribué à cette union et en a aussi – il ne faut pas l’oublier – tiré grand profit (…).
  
Source : Discours devant le corps diplomatique. Vienne, 7 Septembre 2007.



Quelles réserves le pape émet-il néanmoins ?

Le pape Benoît XVI a critiqué sévèrement certaines orientations actuelles des politiques européennes dans son discours pour le 50ème anniversaire des Traités de Rome, Congrès de la COMECE, le 25 mars  2007.
  

(…) On ne peut pas penser édifier une authentique « maison commune » européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un « ferment » de civilisation. Si elles devaient disparaître, comment le « vieux » continent pourrait-il continuer de jouer le rôle de « levain » pour le monde entier ?

Si, à l’occasion du 50e anniversaire des Traités de Rome, les gouvernements de l’Union désirent se « rapprocher » de leurs citoyens, comment pourraient-ils exclure un élément essentiel de l’identité européenne tel que le christianisme, auquel une vaste majorité d’entre eux continue de s’identifier ?

N’est-il pas surprenant que l’Europe d’aujourd’hui, tandis qu’elle vise à se présenter comme une communauté de valeurs, semble toujours plus souvent contester le fait qu’il existe des valeurs universelles et absolues. Cette forme singulière d’« apostasie » d’elle-même, avant même que de Dieu, ne la pousse-t-elle pas à douter de sa propre identité ? De cette façon, on finit par répandre la conviction selon laquelle la « pondération des biens » est l’unique voie pour le discernement moral et que le bien commun est synonyme de compromis. En réalité, si le compromis peut constituer un équilibre légitime d’intérêts particuliers différents, il se transforme en mal commun chaque fois qu’il comporte des accords qui nuisent à la nature de l’homme.

Une communauté qui se construit sans respecter la dignité authentique de l’être humain, en oubliant que chaque personne est créée à l’image de Dieu, finit par n’accomplir le bien de personne. Voilà pourquoi il apparaît toujours plus indispensable que l’Europe se garde d’adopter un comportement pragmatique, aujourd’hui largement diffusé, qui justifie systématiquement le compromis sur les valeurs humaines essentielles, comme si celui-ci était l’inévitable acceptation d’un prétendu moindre mal. Ce pragmatisme, présenté comme équilibré et réaliste, au fond ne l’est pas, précisément parce qu’il nie la dimension de valeur et d’idéal qui est inhérente à la nature humaine. De plus, lorsque s’ajoutent à ce pragmatisme des tendances et des courants laïcistes et relativistes, on finit par nier aux chrétiens le droit même d’intervenir en tant que tels dans le débat public ou, tout au moins, on dévalorise leur contribution en les accusant de vouloir sauvegarder des privilèges injustifiés. A l’époque historique actuelle, et face aux nombreux défis qui la caractérisent, l’Union européenne, pour être le garant valide de l’Etat de droit et le promoteur efficace de valeurs universelles, ne peut manquer de reconnaître avec clarté l’existence certaine d’une nature humaine stable et permanente, source de droits communs à toutes les personnes, y compris celles-là mêmes qui les nient. Dans ce contexte, il faut sauvegarder le droit à l’objection de conscience, chaque fois que les droits humains fondamentaux sont violés (…).
  
Source : Discours pour le 50° anniversaire des Traités de Rome, Congrès de la COMECE (Commission des Episcopats de la Communauté Européenne), 25 mars 2007.



Quelles sont pour Benoît XVI la responsabilité de l’Europe dans le monde ?

Dans son discours devant le corps diplomatique à Vienne, le 7 septembre 2007, Benoît XVI appelle à l’ouverture vers les autres peuples du Monde, en particulier africains, démarche qui s’inscrit dans une tradition constante des derniers Papes, en particulier du Pape Jean-Paul II.

(…) Les tâches de l’Europe dans le monde
De l’unicité de son nom découle aussi, cependant, pour l’Europe, une responsabilité unique dans le monde. À ce propos, elle ne doit surtout pas renoncer à elle-même. Le continent qui, sur le plan démographique, vieillit de façon rapide ne doit pas devenir un continent spirituellement vieux. De plus, l’Europe acquerra une meilleure conscience d’elle-même si elle assume une responsabilité dans le monde qui corresponde à sa tradition spirituelle particulière, à ses capacités extraordinaires et à sa grande force économique. L’Union européenne devrait par conséquent jouer un rôle de meneur dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, et dans l’engagement en faveur de la paix. Nous pouvons constater avec gratitude que les pays européens et l’Union européenne sont parmi ceux qui contribuent le plus au développement international, mais ils devraient aussi faire valoir leur importance politique face, par exemple, aux très urgents défis portés par l’Afrique, aux horribles tragédies de ce continent telles que le fléau du SIDA, la situation au Darfour, l’exploitation injuste des ressources naturelles et le trafic préoccupant des armes. De même que l’engagement politique et diplomatique de l’Europe et de ses pays ne doit pas oublier la situation toujours grave du Moyen-Orient où la contribution de tous est nécessaire pour favoriser le renoncement à la violence, le dialogue réciproque et une cohabitation vraiment pacifique. Les relations avec les Nations d’Amérique latine et avec celles du Continent asiatique doivent continuer à croître, par des liens opportuns d’échange (…)

Source : Discours devant le corps diplomatique. Vienne, 7 septembre 2007


Quel lien Benoît XVI fait-il entre foi et raison ?

L’attachement de Benoît XVI au dialogue entre la foi et la raison est lié à l’enracinement chrétien de l’Europe.

  
(…) Le dialogue de la raison

Fait aussi partie de l’héritage européen une tradition de pensée, pour laquelle un lien substantiel entre foi, vérité et raison est essentiel. Il s’agit ici, en définitive, de se demander si, oui ou non, la raison est au principe de toutes choses et à leur fondement. Il s’agit de se demander si le hasard et la nécessité sont à l’origine de la réalité, si donc la raison est un produit secondaire fortuit de l’irrationnel, et si, dans l’océan de l’irrationalité, en fin de compte, elle n’a aucun sens, ou si au contraire ce qui constitue la conviction de fond de la foi chrétienne demeure vrai : In principio erat Verbum – Au commencement était le Verbe – à l’origine de toutes choses, il y a la Raison créatrice de Dieu qui a décidé de se rendre participant à nous, êtres humains.

Permettez-moi de citer dans ce contexte Jürgen Habermas, un philosophe qui n’adhère pas à la foi chrétienne : « Par l’autoconscience normative du temps moderne, le christianisme n’a pas été seulement un catalyseur. L’universalisme égalitaire, dont sont nées les idées de liberté et de solidarité, est un héritage immédiat de la justice juive et de l’éthique chrétienne de l’amour. Inchangé dans sa substance, cet héritage a toujours été de nouveau approprié de façon critique et de nouveau interprété. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative à cela » (…).



Benoît XVI et la laïcité en questions

    
Quels enjeux la laïcité soulève-t-elle ?

Le pape Benoît XVI a une vive conscience des enjeux culturels, intellectuels et spirituels de la laïcité, qui lui semblent plus importants que ses enjeux institutionnels, législatifs et juridiques.
Il s’interroge sur la place de la foi chrétienne à l’intérieur des sociétés modernes, dans la mesure où ces sociétés sont imprégnées des catégories de pensée inspirées par la « philosophie des Lumières».

Quelle attitude les fidèles doivent-ils adopter par rapport à la philosophie des Lumières ?

Face à cette « philosophie des Lumières », Benoît XVI en appelle a un discernement intelligent : il s’agit de refuser une conception étroite de la Raison, qui exclurait Dieu de la société, et, en même temps, d’accueillir les enseignements de cette philosophie quand elle affirme les droits fondamentaux de tout être humain et la liberté constitutive de la foi.

« Il s’agit de l’attitude que la communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui s’affirment dans la philosophie des Lumières. D’une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l’organisation publique, privant ainsi l’homme de ses critères spécifiques de mesure. D’autre part, il est nécessaire d’accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant des éléments essentiels également pour l’authenticité de la religion ». (Discours à la Curie Romaine, 22 décembre 2006 : Documentation catholique 2373, p.108.)

Il ne faut jamais perdre de vue cette double dimension du discernement souhaité :
- D’une part, la critique d’une conception totalitaire de la raison et de sa fermeture aux réalités religieuses.
- D’autre part, la reconnaissance des effets positifs de la pensée moderne, quand elle oblige les croyants à vivre authentiquement leur foi, en la comprenant eux-mêmes comme une source de liberté.


La foi et la raison sont-elles compatibles ?

Benoît XVI plaide pour un dialogue intelligent entre la raison et la foi, en insistant sur les exigences relativement nouvelles de ce dialogue : que la raison renonce à ses prétentions totalitaires et que la foi chrétienne reconnaisse les capacités de compréhension rationnelle qu’elle porte en elle !

Revenant sur la conférence qu’il avait prononcée, le 12 septembre 2006, à l’Université de Ratisbonne, et dont une phrase, exclue de son contexte, avait provoqué de grandes alarmes dans le monde musulman, Benoît XVI insiste sur l’urgence de ce dialogue entre la raison et la foi. Il se souvient de sa rencontre avec le philosophe Jürgen Habermas et rappelle que celui-ci « avait dit que nous aurions besoin de personnes capables de traduire les convictions codées de la foi chrétienne dans le langage du monde sécularisé pour les rendre à nouveau efficaces ». (Discours du 22 décembre 2006 : Discours à la Curie Romaine, 22 décembre 2006 : Documentation catholique 2373, p.107).

On peut penser que le contexte culturel de la laïcité oblige encore davantage à ce travail de dialogue et de traduction, avec toutes les initiatives et toutes les médiations qu’il implique, car « la raison a besoin du Logos qui est à l’origine de tout et qui est notre lumière ; la foi, pour sa part, a besoin de dialogue avec la raison moderne pour se rendre compte de sa grandeur et être à la hauteur de ses responsabilités ». (Ibid., p.107).

On devrait s’interroger davantage sur les institutions de formation où il est possible, en France, de pratiquer ce travail de dialogue et de « traduction », notamment dans le cadre de l’enseignement catholique, et spécialement des Instituts catholiques. Ce qui appelle ces Instituts à être effectivement reliés au monde de la pensée et de la recherche universitaires.
Ces mêmes exigences de dialogue concernent aussi les enseignants chrétiens présents dans l’Education nationale, avec les initiatives nouvelles que l’Église catholique en France devrait prendre à leur égard.



Laïcité ou laïcisme ?

Les effets négatifs de l’idéologie laïciste sont évidents. Ils tendent à exclure la foi chrétienne de l’espace public et à promouvoir une culture totalement coupée de ses racines profondes.

Benoît XVI a souvent mis en relief ces deux effets intimement liés l’un à l’autre, notamment par rapport au préambule de la Constitution européenne, où l’on a refusé d’inscrire la mention de Dieu et la référence historique aux racines chrétiennes de l’Europe. Ce double refus est très significatif.

- D’une part, « le refus lui-même de référence à Dieu n’est pas l’expression d’une tolérance qui veut protéger les religions non théistes et la dignité des athées et des agnostiques, mais plutôt l’expression d’une conscience qui voudrait voir Dieu effacé définitivement de la vie publique de l’humanité et cantonné au milieu subjectif des cultures résiduelles du passé ». (L’Europe dans la crise des cultures : conférence du cardinal Ratzinger à Subiaco, le 1er Avril 2005 : Documentation catholique Hors-série, 2005, p. 123).

- D’autre part, le refus de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe porte sur la mémoire historique. Elle obéit au même processus d’exclusion : cette culture « se coupe consciemment de ses propres racines historiques, se privant par là des forces fécondes dont elle est elle-même née, elle abandonne ce que l’on peut appeler la mémoire fondamentale de l’humanité, sans laquelle la raison perd son orientation » (Ibid., p.123). Il y a là une véritable mutilation qui atteint l’existence commune.

Ces critiques ont valeur d’avertissement : Où en sommes-nous de notre propre connaissance historique du phénomène chrétien présent à l’intérieur de nos sociétés ? Qu’est-ce qui est exigé de nous si nous voulons nous familiariser davantage avec une lecture chrétienne de notre histoire ?


Qu’entend Benoît XVI par « saine laïcité » ?

Tout en maintenant ses critiques sur les excès du laïcisme, Benoît XVI ne doute pas de la possibilité de mettre en œuvre, dans nos sociétés modernes, une « saine laïcité », qui comporte des obligations mutuelles à la fois pour l’État et pour l’Église.

Il faut que « l’État ne considère pas la religion comme un simple sentiment individuel qui pourrait être limité au seul domaine privé . Au contraire, la religion, étant également organisée en structures visibles, comme cela a lieu pour l’Église, doit être reconnue comme présence communautaire publique ». (Discours au Congrès des Juristes catholiques italiens, 9 décembre 2006).

Mais, de son côté, l’Église doit éviter tout ingérence par rapport à l’État : « Ce n’est pas l’Église qui peut indiquer quelle organisation publique ou sociale il faut préférer, mais c’est le peuple qui doit décider librement des façons les meilleures et les plus adaptées d’organiser la vie publique ». (Ibid.)

Benoît XVI, dans le même discours, insiste, en se référant à la Constitution conciliaire Gaudium et spes, sur les exigences que comporte pour les catholiques cette pratique d’une « saine laïcité » :

« Il est alors du devoir de tous les croyants, et en particulier des croyants dans le Christ, de continuer à élaborer un concept de laïcité qui, d’une part, reconnaisse à Dieu et à sa loi morale, au Christ et à son Église, la place qui leur revient dans la vie humaine, individuelle et sociale et, de l’autre, qui affirme et respecte la « légitime autonomie des réalités terrestres », en entendant par cette expression, comme le répète le Concile Vatican II, que « les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. » (Gaudium et spes, n.36).


En quoi Benoît XVI poursuit-il la réflexion de Jean-Paul II ?

Il est évident que ces affirmations du pape Benoît XVI relatives à une « saine laïcité » sont dans le même sillage que les encouragements adressés par le pape Jean-Paul II aux catholiques de France, en Février 2005, dans le cadre du centenaire de la loi de 1905.

« L’Église souhaite que les valeurs religieuses, morales et spirituelles qui font partie du patrimoine de la France, qui ont façonné son identité et qui ont forgé des générations de personnes depuis les premiers siècles du christianisme ne tombent pas dans l’oubli. J’invite donc les fidèles de votre pays, dans la suite de la Lettre aux catholiques de France que vous leur avez adressée il y a quelques années, à puiser dans leur vie spirituelle et ecclésiale la force pour participer à la res publica et pour donner un élan nouveau à la vie sociale et une espérance renouvelée aux hommes et aux femmes de notre temps ». (Lettre de Jean-Paul II aux évêques de France pour le centenaire de la loi de 1905 : 11 Février 2005, Documentation catholique 2331, p.204).

Cet appel de Jean-Paul II à l’engagement des catholiques et de l’Église dans la société française demeure d’une grande actualité. Les réflexions exigeantes de Benoît XVI nous obligent à actualiser encore davantage cet engagement.


La laïcité, un défi pour les chrétiens ?

Il est indéniable qu’un usage restrictif ou intolérant de la laïcité met la Tradition et la foi chrétiennes à l’épreuve dans nos sociétés pluralistes, où le christianisme est présent à côté d’autres traditions religieuses et aussi de courants de pensée agnostiques ou athées, sans oublier l’indifférence ambiante.

Mais cette épreuve comporte elle-même comme un défi à relever : il s’agit pour nous, chrétiens, d’inscrire notre foi à l’intérieur de notre société oublieuse de ses racines et de comprendre nous-mêmes que la Révélation chrétienne comporte une ouverture à l’universel. Cet universalisme empêche l’Église catholique de se replier sur elle-même. Elle l’oblige en permanence à s’adresser à tous. C’est en insistant sur cet universalisme essentiel à la foi et à l’Église que le cardinal Ratzinger avait conclu son allocution à l’Académie des Sciences morales et politiques, à Paris, en novembre 1992 :

« Il est conforme à la nature de l’Église d’être séparée de l’État et que sa foi ne puisse pas être imposée par l’État, mais repose au contraire sur des convictions acquises librement…L’Église se doit d’être non pas un État ou une partie d’un État, mais une communauté de conviction. Elle se doit aussi de se savoir responsable de l’ensemble et de ne pas pouvoir se limiter à elle-même. Il lui faut à partir de sa propre liberté parler à l’intérieur de la liberté de tous… » (La liberté, le droit et le bien, Principes moraux dans les sociétés démocratiques, dans Valeurs pour un temps de crise, Parole et silence, 2005, p.22).

Il est probable que, lors de son prochain voyage en France, le pape Benoît XVI insistera à nouveau sur cette responsabilité large de l’Église, fondée sur l’universalisme chrétien.

Sans oublier que cette responsabilité de l’Église implique le témoignage des croyants, et des croyants qui osent dire Dieu à travers toute leur existence. Comme l’avait souligné le cardinal Ratzinger en 2005, peu avant son élection comme évêque de Rome :

« Ce dont nous avons le plus besoin en ce moment de l’histoire, ce sont des hommes qui par une foi éclairée et vive, rendent Dieu crédible dans ce monde…Nous avons besoin d’hommes dont l’intelligence soit éclairée par la lumière de Dieu et dont Dieu ouvre le cœur, de sorte que leur intelligence puisse parler à l’intelligence des autres et que leur cœur puisse ouvrir le cœur des autres ». (L’Europe dans la crise des cultures, Ibid., p.125).

Il est évident que les questions posées par la laïcité à la conscience chrétienne ne sont pas seulement des questions théoriques, mais des questions profondément existentielles qui concernent notre façon de témoigner du Dieu de Jésus-Christ dans notre société pluraliste et sécularisée.



Une Europe en crise spirituelle

En choisissant le nom de Benoît XVI, le Cardinal Ratzinger avait inscrit son pontificat à la fois dans les traces de Saint Benoît, « père du monachisme occidental, co-patron de l’Europe, et en référence à Benoît XV, qui a guidé l’Église dans la période difficile de la première guerre mondiale » [1].

De même, dans une catéchèse consacrée à Saint Benoît de Nursie, il avait souhaité se placer dans la continuité de Paul VI qui « en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne » [2].

Ce choix fut révélateur de l’un des fils conducteurs de ce pontificat : son insistance à revenir sans cesse sur l’avenir de l’Europe et la nécessaire construction d’une véritable identité européenne.


La construction de l’unité de l’Europe

La réussite de la construction européenne sur le plan de la paix a été saluée à de nombreuses reprises par Benoît XVI durant son pontificat : « en tant que berceau de l’histoire et de la culture du continent européen au cours des siècles, l’Église catholique accueille en grande partie avec satisfaction ce développement. Là où les hommes et les peuples se considèrent membres de la même famille, les possibilités de paix, de solidarité, d’échange et d’enrichissement réciproque augmentent » [3].

Revenant sur l’unité de l’Europe, il a noté que « la division qui, pendant des décennies, a déchiré le Continent de manière douloureuse est, il est vrai, surmontée sur le plan politique, mais l’unité reste encore en grande partie à réaliser dans l’esprit et dans le cœur des personnes » [4]. « Cinquante ans après le lancement du grand projet de la construction européenne […] les avancées sont considérables, même si de nouvelles difficultés sont apparues récemment » [5].

«  Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent  » [6].

D’après Benoît XVI « La « maison Europe » [...] sera pour tous un lieu agréable à habiter seulement si elle est construite sur une solide base culturelle et morale de valeurs communes que nous tirons de notre histoire et de nos traditions » [7].


Une Europe en crise spirituelle

Pour Benoît XVI, le « cœur de la crise » qui frappe l’Europe est une crise « spirituelle et morale », où l’homme « prétend définir sa propre identité  » [8].

l’Occident a perdu le sens et la valeur profonde de son patrimoine spirituel et moral, et même les baptisés ont « perdu leur identité et leur appartenance  » : avec la baisse de la pratique religieuse, certains « doutent des vérités enseignées par l’Église » tandis que d’autres « réduisent le Royaume de Dieu à quelques grandes valeurs qui, si elles ont un lien avec l’Évangile, ne constituent pas le cœur de la foi chrétienne ». La « rationalité scientifique et la culture technique », non seulement « tendent à uniformiser le monde », mais souvent dépassent leurs domaines spécifiques, avec la « prétention de tracer le périmètre des certitudes de la raison ». Ainsi le « pouvoir des capacités humaines finit par se penser la mesure même de l’agir, libéré de toute norme morale » [9].

Benoît XVI a invité à «  cultiver une vie authentique de prière pour assurer le progrès social dans la paix  ». « Ce n’est qu’en apprenant, avec la grâce de Dieu, à combattre et à vaincre le mal à l’intérieur de soi et dans les relations avec les autres, que l’on devient des constructeurs authentiques de paix et de progrès civil » [10].



Les 2 âmes de l’Europe

« Le problème de l’Europe pour trouver son identité semble consister dans le fait qu’en Europe nous avons aujourd’hui deux âmes : une âme et une raison abstraite, anti-historique, qui entend tout dominer car elle se sent au-dessus de toutes les cultures. [...] L’autre âme est celle que nous pouvons appeler chrétienne, qui s’ouvre à tout ce qui est raisonnable, qui a elle-même créé l’audace de la raison et la liberté d’une raison critique, mais qui reste ancrée aux racines qui ont donné origine à cette Europe, qui l’ont construite dans les grandes valeurs, dans les grandes intuitions, dans la vision de la foi chrétienne » [11].

Pour Benoît XVI, cette identité européenne pourra se construire uniquement si se met en place une véritable réflexion commune entre les différentes religions chrétiennes qui ont façonné l’Europe : « c’est surtout dans le dialogue œcuménique entre Églises catholique, orthodoxe, protestante, que cette âme doit trouver une expression commune et doit ensuite rencontrer cette raison abstraite, c’est-à-dire accepter et conserver la liberté critique de la raison par rapport à tout ce qu’elle peut faire et a fait, mais la mettre en pratique, la rendre concrète dans le fondement, dans la cohésion avec les grandes valeurs que le christianisme nous a données. Ce n’est que dans cette synthèse que l’Europe peut avoir son poids dans le dialogue interculturel de l’humanité d’aujourd’hui et de demain, car une raison qui s’est émancipée de toutes les cultures ne peut pas entrer dans un dialogue interculturel » [12].

[1] Benoît XVI, audience générale, 27/04/2005
[2] Benoît XVI, audience générale, 09/04/2008
[3] Discours du pape Benoît XVI à l’ambassadeur d’Autriche, 18/09/2006
[4] Benoît XVI, Visite apostolique en Autriche, 07/09/2007
[5] Discours du pape Benoît XVI à l’ambassadeur de Belgique, 26/10/2006
[6] Benoît XVI, audience générale, 09/04/2008
[7] Benoît XVI, Visite apostolique en Autriche, 07/09/2007
[8] Benoît XVI aux participants de la 64e Assemblée plénière de la Conférence épiscopale italienne (CEI), 24/05/2012
[9] Zenit, Europe : repartir de Dieu pour faire face à la crise, 25 mai 2012
[10] Benoît XVI, Regina Cæli, 24/05/2009
[11] Entretien avec Benoît XVI, 15/10/2012
[12] Entretien avec Benoît XVI, 15/10/2012



Le rejet croissant du christianisme en Europe

Fustigeant ceux qui nient à l’Europe toute racine chrétienne, Benoît XVI s’est régulièrement inquiété de la montée de l’hostilité et des préjugés à l’égard des chrétiens au sein même de l’Europe.

« Sous de nouvelles formes, se font jour des tentatives pour marginaliser l’influence du christianisme dans la vie publique – parfois sous le prétexte que ses enseignements porteraient atteinte au bien-être de la société –. Ce phénomène doit nous inciter à prendre le temps de la réflexion. Comme je l’ai suggéré dans mon Encyclique sur l’Espérance chrétienne, la séparation artificielle de l’Évangile avec la vie publique et intellectuelle devrait nous pousser à engager une mutuelle « autocritique de la modernité » et « autocritique du christianisme moderne », regardant spécifiquement l’espérance que chacun peut offrir au genre humain (cf. Spe Salvi, n. 22) » [1].

« Il existe en outre des formes plus élaborées d’hostilité envers la religion, qui, dans les pays occidentaux, se manifestent parfois par le reniement de l’histoire et des symboles religieux dans lesquels se reflètent l’identité et la culture de la majorité des citoyens. Ces attitudes alimentent souvent haine et préjugés et ne sont pas cohérentes avec une vision sereine et équilibrée du pluralisme et de la laïcité des institutions, sans compter qu’elles peuvent empêcher les jeunes générations d’entrer en contact avec le précieux héritage spirituel de leurs pays. »

« On ne peut oublier que le fondamentalisme religieux et le laïcisme sont des formes spéculaires et extrêmes du refus du légitime pluralisme et du principe de laïcité. Tous deux, en effet, absolutisent une vision réductrice et partiale de la personne humaine, favorisant dans le premier cas, des formes d’intégralisme religieux, et dans le second, de rationalisme. La société qui veut imposer, ou qui, au contraire, nie la religion par la violence, est injuste à l’égard de la personne et de Dieu, mais aussi envers elle-même » [2].


L’Europe, construite par la chrétienté

«  Des voix chagrines contestent avec une stupéfiante régularité la réalité des racines religieuses européennes. Il est devenu de bon ton d’être amnésique et de nier les évidences historiques. Affirmer que l’Europe n’a pas de racines chrétiennes, équivaut à prétendre qu’un homme peut vivre sans oxygène et sans nourriture. Il ne faut pas avoir honte de rappeler et de soutenir la vérité en refusant, si nécessaire, ce qui est contraire à elle » [3].

Ces années de pontificat ont ainsi été pour l’Europe une invitation incessante à « renforcer ses racines chrétiennes et à intensifier ainsi son engagement en faveur de la solidarité et de la ferme défense de la dignité de l’homme » [4].

A travers de nombreuses catéchèses et audiences, Benoît XVI a rappelé la participation essentielle de l’ Église à la construction de l’Europe, que ce soit à travers « l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne » [5], le témoignage des saints Cyrille et Méthode, « pionniers de l’évangélisation de l’Europe » [6] ou celui de l’héritage clunisien qui a permis d’esquisser ainsi « une Europe de l’esprit » [7].

Il a invité à de multiples reprises l’homme européen à « ne pas renier l’héritage chrétien qui appartient à son histoire, mais au contraire qu’’il le conserve jalousement et l’amène à porter encore des fruits dignes du passé » [8]. Que ce soit en Croatie [9], en Autriche [10], en République Tchèque [11], en Italie [12], aux membres du parlement européens [13], … Benoît XVI n’a eu de cesse de rappeler lors de ses visites l’importance des « racines chrétiennes de l’Europe qui lui ont conféré sa grandeur par le passé et qui peuvent aujourd’hui encore favoriser l’unité profonde du continent » [14].


Les racines chrétiennes de l’Europe

L’Europe contemporaine est « le fruit de deux mille ans de civilisation » et elle plonge ses racines à la fois dans l’immense patrimoine d’Athènes et de Rome, et surtout dans le « terrain fécond du christianisme  » qui s’est révélé capable de « créer de nouveaux patrimoines culturels tout en recevant la contribution originale de chaque civilisation » [15].

« Quand l’Europe écoute l’histoire du Christianisme, elle entend sa propre histoire. Sa notion de justice, de liberté et de responsabilité sociale, en même temps que les institutions culturelles et juridiques établies pour préserver ces idées et les transmettre aux générations futures, sont modelées par l’héritage chrétien » [16].

« Dans l’histoire complexe de l’Europe, le christianisme représente un élément central. La foi chrétienne a façonné la culture du vieux continent et s’est mêlée de manière indissoluble à son histoire, au point que celle-ci ne serait pas compréhensible si l’on ne faisait pas référence aux événements qui ont caractérisé tout d’abord la grande période de l’évangélisation et ensuite les longs siècles où le christianisme a pris un rôle toujours plus important ».

  
« Les Européens sont appelés à s’engager pour créer les conditions d’une profonde cohésion et d’une collaboration réelle entre les peuples. Pour construire la nouvelle Europe sur des bases solides il ne suffit pas de faire appel aux seuls intérêts économiques, mais il faut plutôt se baser sur les valeurs authentiques qui ont leur fondement dans la loi morale universelle inscrite dans le cœur de chaque homme » [17].

« Rappeler ces origines est nécessaire, même pour la vérité historique, et il est important de savoir lire en profondeur ces racines, pour qu’elles puissent aussi animer l’aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il est décisif de saisir le dynamisme qu’il y a – par exemple – dans l’événement de la naissance d’une université, ou d’un mouvement artistique, ou d’un hôpital. Il faut comprendre le pourquoi et le comment cela est arrivé, pour valoriser dans l’aujourd’hui ce dynamisme, qui est une réalité spirituelle qui devient culturelle et donc sociale. À la base de tout, il y a des hommes et des femmes, il y a des personnes, des consciences, mues par la force de la vérité et du bien » [18].

«  L’on ne peut pas penser édifier une authentique "maison commune" européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un "ferment" de civilisation. Si elles devaient disparaître, comment le "vieux" continent pourrait-il continuer de jouer le rôle de "levain" pour le monde entier ? »

«  N’est-il pas surprenant que l’Europe d’aujourd’hui, tandis qu’elle vise à se présenter comme une communauté de valeurs, semble toujours plus souvent contester le fait qu’il existe des valeurs universelles et absolues ? Cette forme singulière d’"apostasie" d’elle-même, avant même que de Dieu, ne la pousse-t-elle pas à douter de sa propre identité ? De cette façon, on finit par répandre la conviction selon laquelle la "pondération des biens" est l’unique voie pour le discernement moral et que le bien commun est synonyme de compromis. En réalité, si le compromis peut constituer un équilibre légitime d’intérêts particuliers différents, il se transforme en mal commun chaque fois qu’il comporte des accords qui nuisent à la nature de l’homme » [19].

« Même si hélas de nombreux Européens semblent ignorer les racines chrétiennes de l’Europe, celles-ci sont vivantes, et devraient tracer le chemin et nourrir l’espérance de millions de citoyens qui partagent les mêmes valeurs » [20]. L’unité des peuples européens ne sera solide que si elle est basée sur les racines chrétiennes communes. Grâce à celles-ci « l’Europe sera capable de donner une orientation sûre au choix de ses citoyens et de ses peuples, elle renforcera sa conscience d’appartenir à une civilisation commune et elle consolidera l’engagement de tous dans le but de faire face aux défis du présent en vue d’un avenir meilleur » [21].

[1] Benoît XVI, Rencontre œcuménique, salle du Trône de l’Archevêché de Prague, 27 septembre 2009, Voyage Apostolique, République tchèque, 26-28 septembre 2009
[2] Benoît XVI, Message pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix 2011, 1er janvier 2011
[3] Benoît XVI, Discours à l’ambassadeur de Croatie, 11/04/2011
[4] Benoît XVI, Lettre en conclusion de l’Année sainte de Compostelle 2010, 18 décembre 2010
[5] Benoît XVI, audience générale, 09/04/2008
[6] Benoît XVI, A la délégation bulgare en la mémoire liturgique des saints Cyrille et Méthode, 23 mai 2011
[7] Benoît XVI, Audience Générale, 11 novembre 2009
[8] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[9] Benoît XVI, Rencontre avec les représentants de la société civile, du monde politique, académique, culturel et de l’entreprise, avec le corps diplomatique et avec les chefs religieux, 4 juin 2011
[10] Benoît XVI, Visite apostolique en Autriche, 07/09/2007
[11] Benoît XVI, Rencontre œcuménique, salle du Trône de l’Archevêché de Prague, 27 septembre 2009, Voyage Apostolique, République tchèque, 26-28 septembre 2009
[12] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[13] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006
[14] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[15] Zenit, Les racines chrétiennes de l’Europe sont vivantes, constate Benoît XVI, 9 décembre 2008
[16] Benoît XVI, Rencontre œcuménique, salle du Trône de l’Archevêché de Prague, 27 septembre 2009, Voyage Apostolique, République tchèque, 26-28 septembre 2009
[17] Benoît XVI, A la délégation bulgare en la mémoire liturgique des saints Cyrille et Méthode, 23 mai 2011
[18] Benoît XVI, Rencontre avec les représentants de la société civile, du monde politique, académique, culturel et de l’entreprise, avec le corps diplomatique et avec les chefs religieux, 4 juin 2011
[19] Benoît XVI, Audience au Congrès promu par la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), 24 mars 2007
[20] Benoît XVI, Message pour la journée d’étude sur le dialogue entre cultures et religions, 3 décembre 2008
[21] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006



L’identité nationale & l’immigration

Le respect de l’identité propre de chaque pays

« La voie de l’intégration européenne […] repose essentiellement sur la confiance que les citoyens placent dans un tel projet.[…] En définitive, il s’agit toujours de la question de l’identité et des bases spirituelles sur lesquelles s’appuie la communauté des peuples et des Etats européens. Ni une union économique, plus ou moins valable, ni un règlement bureaucratique réglementant la coexistence ne pourront jamais satisfaire pleinement les attentes des personnes pour l’Europe. Les racines les plus profondes d’une "réciprocité" européenne solide et exempte de toute crise se trouvent plutôt dans les convictions et les valeurs communes de l’histoire et de la tradition chrétienne et humaniste du continent » [1].

C’est ainsi qu’il avait salué en 2010 le changement de constitution de la Hongrie qui souhaitait faire mention dans son préambule de ses racines chrétiennes [2].

Mais les identités nationales propres aux différents pays européens ne sont pas vu par Benoît XVI comme un obstacle à la construction européenne. Au contraire, ces identités propres sont une richesse qui se complètent et donnent naissance à une grande symphonie de cultures [3].

Lors d’un discours prononcé en 2011 devant l’ambassadeur de Croatie, il s’était réjouit de l’intégration de la Croatie au sein de l’UE, notant que Le Saint-Siège ne peut que se féliciter lorsque la famille européenne se complète et reçoit des États qui, historiquement en font partie [4]. Il avait ajouté que « Cette intégration, devra se faire dans le plein respect des spécificités croates, de sa vie religieuse et de sa culture.  » En effet, «  Il serait illusoire de vouloir renier sa propre identité pour en rejoindre une autre qui est née dans des circonstances si différentes de celles qui ont vu naître et se construire celle de la Croatie. En entrant dans l’Union européenne, [...] il ne faudra pas avoir peur de revendiquer avec détermination le respect de sa propre histoire et sa propre identité religieuse et culturelle  ».


Les drames de la dénatalité et de l’immigration

« Au cours des dernières années, l’on a ressenti toujours plus l’exigence d’établir un équilibre sain entre la dimension économique et la dimension sociale, à travers des politiques capables de produire des richesses et d’accroître la compétitivité, sans toutefois négliger les attentes légitimes des pauvres et des exclus. Sous l’aspect démographique, on doit malheureusement constater que l’Europe semble avoir emprunté une voie qui pourrait la conduire à disparaître de l’histoire. Outre le fait de menacer la croissance économique, cela peut également provoquer d’immenses difficultés à la cohésion sociale, et surtout, favoriser un individualisme dangereux, qui n’est pas attentif aux conséquences pour l’avenir » [5].

S’inquiétant de l’actuelle dénatalité qui touche l’ensemble des pays européens, Benoît XVI a rappelé la difficile exigence catholique d’ouverture à l’autre auquel nous appelle à la charité tout en assurant le maintien de son identité propre.

« Il importe au plus haut point que la communauté internationale et tout spécialement l’Union européenne se mobilisent avec détermination en faveur de la paix, du dialogue entre les nations et du développement ». Seul un authentique développement des pays d’origines pourra permettre à l’Europe de résoudre le difficile problème de l’immigration [6]. Afin que puisse être mise en place une véritable politique d’immigration visant à « concilier les intérêts propres du pays d’accueil et le nécessaire développement des pays les moins favorisés, politique soutenue aussi par une volonté d’intégration » [7].

Pour que cette intégration soit réalisable, il avait insisté sur le fait que « l’accueil d’immigrés de plus en plus nombreux et la multiplication sur un même sol de communautés différentes par leur culture d’origine ou leur religion rendent absolument nécessaire, dans nos sociétés, le dialogue entre les cultures et entre les religions » et qu’« il convient d’approfondir la connaissance mutuelle, en respectant les convictions religieuses de chacun et les légitimes exigences de la vie sociale, conformément aux lois en vigueur, et d’accueillir les immigrés, de sorte qu’on respecte toujours leur dignité » [8].

« L’on ne peut pas penser édifier une authentique "maison commune" européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un "ferment" de civilisation. Si elles devaient disparaître, comment le "vieux" continent pourrait-il continuer de jouer le rôle de "levain" pour le monde entier ? » [9].

« On évitera ainsi les risques du repli sur soi, du nationalisme exacerbé ou même de la xénophobie, et on pourra espérer un développement harmonieux de nos sociétés pour le bien de tous les citoyens » [10].

C’est pourquoi Benoît XVI invite les croyants à « contribuer non seulement à garder jalousement l’héritage culturel et spirituel qui les caractérise, et qui fait partie intégrante de leur histoire  », mais aussi à rechercher des « voies nouvelles pour affronter de façon adéquate les grands défis qui caractérisent l’époque post-moderne  » [11].

[1] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur d’Autriche, 18 septembre 2006
[2] Benoît XVI, Address to the New Ambassador of Hungary to the Holy See, 2 décembre 2010
[3] Benoît XVI, Entretien dans le film Les cloches de l’Europe, 15 octobre 2012
[4] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur de Croatie près le Saint-Siège, 11 avril 2011
[5] Benoît XVI, Audience au Congrès promu par la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), 24 mars 2007
[6] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur du Royaume de Belgique près le Saint-Siège, 26 octobre 2006
[7] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur du Royaume de Belgique près le Saint-Siège, 26 octobre 2006
[8] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur du Royaume de Belgique près le Saint-Siège, 26 octobre 2006
[9] Benoît XVI, Audience au Congrès promu par la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), 24 mars 2007
[10] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur du Royaume de Belgique près le Saint-Siège, 26 octobre 2006
[11] Benoît XVI, Message pour la journée d’étude sur le dialogue entre cultures et religions, 3 décembre 2008




Les liens à entretenir entre Église et État


Une saine laïcité de l’État

« L’État et l’Église sont tous deux préoccupés, à différents niveaux, par le bien-être des êtres humains. Cela est au bénéfice des personnes lorsque, dans la politique […] les institutions se laissent guider par une "vision du monde" dans laquelle les valeurs transmises par la foi chrétienne sont déterminantes » [1].

Peu de temps après son élection, Benoît XVI a développé ce thème lors d’une visite officielle au président de la république italienne. Cet exemple italien, et la description entreprise par Benoît XVI des relations idéales entre l’Église et l’État peuvent servir de modèle à la mise en place d’une saine laïcité dans chacun des des gouvernements européens.

« Les relations entre l’Église et l’État italien sont fondées sur le principe énoncé par le Concile Vatican II, selon lequel "la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes" (Gaudium et spes, n. 76). [...] Une saine laïcité de l’État en vertu de laquelle les réalités temporelles sont dirigées selon les normes qui leur sont propres est donc légitime, sans exclure toutefois les références éthiques qui trouvent leur fondement ultime dans la religion. L’autonomie du domaine temporel n’exclut pas une harmonie intime avec les exigences supérieures et complexes dérivant d’une vision intégrale de l’homme et de son destin éternel » [2].

« L’Europe de la science et des technologies, l’Europe de la civilisation et de la culture, doit être en même temps l’Europe ouverte à la transcendance et à la fraternité avec les autres continents, ouverte au Dieu vivant et vrai à partir de l’homme vivant et vrai. Voilà ce que l’Église désire apporter à l’Europe : avoir soin de Dieu et avoir soin de l’homme, à partir de la compréhension qui, de l’un et l’autre, nous est offerte en Jésus Christ » [3].

« Pour cela, il est nécessaire que Dieu recommence à résonner joyeusement sous le ciel de l’Europe ». [4].


La formation des consciences

« La contribution éthique de la religion dans le domaine politique ne devrait pas être marginalisée ou interdite, mais comprise comme un apport valable à la promotion du bien commun. Dans cette perspective il convient de mentionner la dimension religieuse de la culture, tissée au long des siècles grâce aux contributions sociales et surtout éthiques de la religion. Une telle dimension ne constitue en aucune manière une discrimination vis-à-vis de ceux qui n’en partagent pas la croyance, mais elle renforce plutôt la cohésion sociale, l’intégration et la solidarité » [5].

« Il ne faut pas oublier que, lorsque les Églises et les communautés ecclésiales interviennent dans le débat public, en exprimant des réserves ou en rappelant certains principes, cela ne constitue pas une forme d’intolérance ou une interférence, car ces interventions ne visent qu’à éclairer les consciences, en les rendant capables d’agir de manière libre et responsable, conformément aux exigences véritables de la justice même si cela peut entrer en conflit avec des situations de pouvoir et d’intérêt personnel » [6]

« C’est dans la formation des consciences que l’Église offre à la société sa contribution la plus personnelle et la plus précieuse. Une contribution qui commence dans la famille et qui trouve un important renforcement dans la paroisse, où les enfants et les adolescents, et ensuite les jeunes apprennent à approfondir les Saintes Écritures, qui sont le « grand code » de la culture européenne ; et en même temps ils apprennent le sens de la communauté fondée sur le don, non sur l’intérêt économique ou sur l’idéologie, mais sur l’amour, qui est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière » (Caritas in veritate, n. 1) » [7].


Les grands défis de l’Europe

S’adressant à une délégations de parlementaires européens, Benoît XVI avait une nouvelle fois souhaité s’élever contre cette « culture aujourd’hui très amplement diffusée en Europe qui relègue dans la sphère privée et subjective la manifestation des convictions religieuses de chacun. Des politiques élaborées sur ce principe n’ont pas seulement comme conséquence de dénier un rôle public au christianisme ; de manière plus générale, elles refusent tout lien avec la tradition religieuse de l’Europe, qui est pourtant très claire, en dépit de ses diversités confessionnelles, en menaçant ainsi la démocratie elle-même, dont la force dépend des valeurs qu’elle défend (cf. Evangelium vitae, n. 70) » [8].

Benoît XVI cite notamment cinq défis essentiels pour l’Europe auxquels l’Église peut apporter à la fois son expérience et sa prudence morale : « la défense de la vie de l’homme à chacune de ses phases », « la protection de tous les droits de la personne et de la famille », « la construction d’un monde juste et solidaire », le « respect de la création » et « le dialogue interculturel et inter-religieux » [9], [10].

[1] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur d’Autriche, 18 septembre 2006
[2] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[3] Benoît XVI, Homélie, Messe à l’occasion de l’Année sainte compostellane, 6 novembre 2010
[4] Benoît XVI, Homélie, Messe à l’occasion de l’Année sainte compostellane, 6 novembre 2010
[5] Benoît XVI, Message pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix 2011, 1er janvier 2011
[6] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006
[7] Benoît XVI, Rencontre avec les représentants de la société civile, du monde politique, académique, culturel et de l’entreprise, avec le corps diplomatique et avec les chefs religieux, 4 juin 2011
[8] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006
[9] Zenit, Les racines chrétiennes de l’Europe sont vivantes, constate Benoît XVI, 9 décembre 2008
[10] Benoît XVI, Message pour la journée d’étude sur le dialogue entre cultures et religions, 3 décembre 2008


Les points non négociables et le principe de subsidiarité

Dans un discours prononcé le 30 mars 2006 devant des représentants du PPE [1] Benoît XVI avait indiqué trois priorités pour l’engagement chrétien en politique et pour le choix politique des chrétiens en Europe [2]. Ce sont les fameux points non négociables :

la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;
la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage ;
la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants.
La protection de la vie

« Les immenses progrès de la technique ont bousculé bien des pratiques dans le domaine des sciences médicales, tandis que la libéralisation des mœurs a considérablement relativisé des normes qui paraissaient intangibles  ». [...]

« Dans un certain nombre de pays, on voit en effet apparaître des législations nouvelles qui remettent en cause le respect de la vie humaine de sa conception jusqu’à sa fin naturelle, au risque de l’utiliser comme un objet de recherche et d’expérimentation, portant ainsi gravement atteinte à la dignité fondamentale de l’être humain ». [3].

« L’Église reconnaît dans la vie humaine un bien primordial, présupposé de tous les autres biens, et elle demande donc que celle-ci soit respectée, à son début comme à son terme, tout en soulignant le devoir de soins palliatifs adaptés rendant la mort plus humaine » [4].


La défense de la famille

« L’Europe ne serait plus l’Europe sans le mariage entre un homme et une femme », avait fait observer Benoît XVI en 2010 dans son discours au nouvel ambassadeur de Hongrie près le Saint-Siège [5].

« Le mariage a donné à l’Europe son aspect particulier et son humanisme, et c’est aussi justement parce qu’elle a dû apprendre et réaliser continuellement la caractéristique de fidélité et de renoncement tracée par lui. L’Europe ne serait plus l’Europe si cette cellule fondamentale de la construction sociale disparaissait ou venait substantiellement transformée ».

« L’Église ne peut pas approuver des initiatives législatives qui impliquent une mise en valeur des modèles alternatifs de la vie de couple et de la famille. Ils contribuent à l’affaiblissement des principes du droit naturel et ainsi à la relativisation de toute la législation, ainsi que de la conscience des valeurs de la société » [6].

« L’Église, habituée à sonder la volonté de Dieu inscrite dans la nature même de la créature humaine, voit dans la famille une valeur très importante qui doit être défendue de toute attaque visant à en miner la solidité et à remettre en question son existence elle-même » [7].


La liberté d’enseignement

« La famille fondée sur le mariage, expression d’une union intime et d’une complémentarité entre un homme et une femme, s’insère dans ce contexte comme première école de formation et de croissance sociale, culturelle, morale et spirituelle des enfants, qui devraient toujours trouver dans leur père et leur mère les premiers témoins d’une vie orientée vers la recherche de la vérité et de l’amour de Dieu. Les parents eux-mêmes devraient être toujours libres de transmettre, sans entraves et de manière responsable, leur patrimoine de foi, de valeurs et de culture à leurs enfants » [8].

Et c’est là le troisième point non négociable, qui découle immédiatement de la famille et du rôle que l’Église lui reconnait. Benoit XVI déclarait ainsi au président italien : «  tout en reconnaissant la compétence de l’État à dicter les normes générales de l’instruction, je ne peux qu’exprimer le vœu que soit respecté concrètement le droit des parents à un libre choix éducatif, sans devoir supporter pour cela le poids supplémentaire de nouveaux frais. J’ai l’assurance que les législateurs italiens, dans leur sagesse, sauront apporter aux problèmes qui viennent d’être évoqués des solutions "humaines", c’est-à-dire respectueuses des valeurs inviolables qui sont en jeu » [9].


Le principe de subsidiarité

« La Communauté ecclésiale perçoit toute l’importance d’un système éducatif qui reconnaisse le primat de l’homme en tant que personne, ouverte sur la vérité et le bien. Les premiers et principaux éducateurs sont les parents, aidés, selon le principe de subsidiarité, par la société civile » [10].

  
« Le principe de subsidiarité protège les personnes des abus des instances sociales supérieures et incite ces dernières à aider les individus et les corps intermédiaires à développer leurs fonctions. [...] L’expérience atteste que la négation de la subsidiarité ou sa limitation au nom d’une prétendue démocratisation ou égalité de tous dans la société, limite et parfois même annule l’esprit de liberté et d’initiative » [11]

« La subsidiarité est avant tout une aide à la personne, à travers l’autonomie des corps intermédiaires. Cette aide est proposée lorsque la personne et les acteurs sociaux ne réussissent pas à faire par eux-mêmes ce qui leur incombe et elle implique toujours que l’on ait une visée émancipatrice qui favorise la liberté et la participation en tant que responsabilisation » [12]

«  Le principe de subsidiarité doit être étroitement relié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin. Cette règle de caractère général doit être prise sérieusement en considération notamment quand il s’agit d’affronter des questions relatives aux aides internationales pour le développement. Malgré l’intention des donateurs, celles-ci peuvent parfois maintenir un peuple dans un état de dépendance et même aller jusqu’à favoriser des situations de domination locale et d’exploitation dans le pays qui reçoit cette aide » [13]

«  L’État qui veut pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui, devient en définitive une instance bureaucratique qui ne peut assurer l’essentiel dont l’homme souffrant – tout homme – a besoin : le dévouement personnel plein d’amour. Nous n’avons pas besoin d’un État qui régente et domine tout, mais au contraire d’un État qui reconnaisse généreusement et qui soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui naissent des différentes forces sociales et qui associent spontanéité et proximité avec les hommes ayant besoin d’aide » [14]

S’adressant a l’ambassadeur de l’Equateur, le pape avait recommandé la construction d’un Etat qui ne cherche pas à tout réglementer à et tout dominer. « Ce qu’il faut, disait-il, c’est un Etat qui reconnaisse généreusement et qui soutienne – en accord avec le principe de la subsidiarité – les initiatives qui jaillissent des forces sociales » [15]

« Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisque est en jeu le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble ; cependant cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d’une part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d’autre part, être concrètement efficace » [16]

Citant la constitution conciliaire Gaudium et Spes, Benoît XVI avait rappelé que « l’Eglise catholique n’est liée à aucune forme particulière de culture humaine, de système politique, économique, ou social » [17]


[1] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès promu par le Parti populaire européen, 30 mars 2006
[2] Zenit, Les trois priorités de Benoît XVI pour une Europe qui respecte la « personne », 30 mars 2006
[3] Benoît XVI, Au nouvel ambassadeur du Royaume de Belgique près le Saint-Siège, 26 octobre 2006
[4] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[5] Zenit, « L’Europe ne serait plus l’Europe sans le mariage », explique Benoît XVI, 2 décembre 2010
[6] Benoît XVI, Address to the New Ambassador of Hungary to the Holy See, 2 décembre 2010
[7] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[8] Benoît XVI, Message pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix 2011, 1er janvier 2011
[9] Visite officielle du Pape Benoît XVI au Quirinal, 24 juin 2005
[10] Benoît XVI, Angélus, 30 octobre 2005
[11] Compendium de la doctrine sociale de l’église, doctrine sociale de l’église, Conseil Pontifical Justice et Paix, Sollicitudo Rei Socialis, Laborem Exercens, Centesimus Annus
[12] Benoît XVI, Lettre Encyclique - Caritas in veritate
[13] Benoît XVI, Lettre Encyclique - Caritas in veritate
[14] Benoît XVI, Lettre Encyclique - Deus caritas est
[15] Zenit, 29 octobre 2007, Equateur : Pour la mise en œuvre du principe de la subsidiarité
[16] Benoît XVI, Lettre Encyclique - Caritas in veritate
[17] Zenit, 29 octobre 2007, Equateur : Pour la mise en œuvre du principe de la subsidiarité


Les racines chrétiennes de l’Europe sont vivantes, constate Benoît XVI
Lettre aux Conseils pontificaux de la culture et pour le dialogue interreligieux

  
ROME, Mardi 9 décembre 2008 - Les racines chrétiennes de l'Europe sont vivantes, constate Benoît XVI dans une lettre aux Conseils pontificaux de la culture et pour le dialogue interreligieux, en date du 3 décembre et publiée aujourd'hui par le Saint-Siège.

Benoît XVI a adressé ce message au président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran, et au président du Conseil pontifical de la culture, Mgr Gianfranco Ravasi, à l'occasion de la journée d'études organisée par ces deux dicastères, jeudi dernier, 4 décembre, sur le thème : « Cultures et Religions en dialogue », et ceci dans le cadre de l'année du Dialogue interculturel promue par l'Union européenne.

« C'est justement en cette heure, parfois dramatique, que, même si hélas de nombreux Européens semblent ignorer les racines chrétiennes de l'Europe, celles-ci sont vivantes, et devraient tracer le chemin et nourrir l'espérance de millions de citoyens qui partagent les mêmes valeurs », affirme Benoît XVI.

L'Europe contemporaine, fait observer le pape, est « le fruit de deux mille ans de civilisation » et elle plonge ses racines à la fois dans l'immense patrimoine d'Athènes et de Rome, et surtout dans le « terrain fécond du christianisme » qui s'est révélé capable de « créer de nouveaux patrimoines culturels tout en recevant la contribution originale de chaque civilisation ».

Benoît XVI relève l'un de ces fruits : la naissance d'un nouvel humanisme. « Le nouvel humanisme, issu de la diffusion du message évangélique, exalte, affirme le pape, tous les éléments dignes de la personne humaine et de sa vocation transcendante, en les purifiant des scories qui obscurcissent le visage de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu ».

Le pape voit dans ce passé et ce présent européen une responsabilité particulière de ce continent envers toute l'humanité. « L'Europe nous apparaît ainsi aujourd'hui comme un précieux tissu, dont la trame est formée par les principes et les valeurs jaillies de l'Evangile, a-t-il expliqué, alors que les cultures nationales ont su broder une immense vérité de perspectives qui manifestent les capacités religieuses, intellectuelles, techniques, scientifiques et artistiques de l'Homo europeus. Dans ce sens, nous pouvons affirmer que l'Europe a eu et a encore une influence culturelle sur l'ensemble du genre humain, et qu'elle ne peut pas manquer de se sentir particulièrement responsable non seulement de son avenir, mais aussi de celui de l'humanité tout entière ».

Le dialogue, ajoute le pape, est une tâche pour l'Eglise aujourd'hui. « L'Eglise, insiste-t-il, doit entrer en dialogue » avec ce monde « pluraliste » dans lequel elle vit, et les croyants doivent être « toujours prêts à promouvoir des initiatives de dialogue interculturel et interreligieux, afin de stimuler la collaboration sur des thèmes d'intérêt réciproque comme la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun, la construction de la paix, le développement ».

Or le pape précise les critères d'un dialogue « authentique » : il doit éviter de « céder au relativisme et au syncrétisme » et être animé « d'un respect sincère pour les autres et d'un généreux esprit de réconciliation et de fraternité ».

C'est pourquoi le pape encourage ceux qui se dédient « à la construction d'une Europe accueillante, solidaire, et toujours plus fidèle à ses racines ».

Il invite les croyants à « contribuer non seulement à garder jalousement l'héritage culturel et spirituel qui les caractérisent, et qui fait partie intégrante de leur histoire », mais aussi à rechercher des « voies nouvelles pour affronter de façon adéquate les grands défis qui caractérisent l'époque post-moderne ».

Il cite notamment cinq défis : « la défense de la vie de l'homme à chacune de ses phases », « la protection de tous les droits de la personne et de la famille », « la construction d'un monde juste et solidaire », le « respect de la création », et, justement, « le dialogue interculturel et interreligieux ».

Benoît XVI souligne que le « dialogue » est une « priorité » pour l'Europe, et que « la diversité doit être accueillie comme un fait positif », c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de reconnaître « l'existence de la culture de l'autre », mais il faut aussi « désirer en recevoir un enrichissement ».




L’Europe a-t-elle perdu son âme ?

Lundi 12 décembre, Lord Jonathan Henry Sacks, grand-rabbin du Royaume-Uni et du Commonwealth, était invité à la Grégorienne de Rome pour dresser un sévère constat de la crise spirituelle de l’Europe, et tacler les bandits de la finance. Morceaux choisis.

  
Venu à Rome pour y rencontrer le pape Benoît XVI, Lord Sacks avait été convié par le cardinal Kurt Koch, président de la Commission pontificale pour les rapports religieux avec le judaïsme, à s’adresser devant l’Université pontificale grégorienne au cours d’une conférence [1] , dont le thème était : « l’Europe a-t-elle perdu son âme ? »

Le grand-rabbin des communautés juives unies du Commonwealth, anobli par la Reine en 2005, est un personnage connu au Royaume-Uni pour son érudition historique et biblique, et son engagement en faveur du dialogue interreligieux, ce qui lui a valu d’être special advisor du Premier ministre Gordon Brown.


L’Europe en danger spirituel

Lord Sacks ne va pas par quatre chemins pour répondre directement au sujet, et estime nécessaire, face à l’apostasie européenne, une prompte réaction de la part des juifs et des chrétiens.

« Les responsables politiques essayant de sauver ensemble l’Euro, et avec lui, le projet même de l’Union européenne, je crois qu’il est temps pour les responsables religieux de s’exprimer sur le sujet, et je veux expliquer pourquoi. »

En effet, le rabbin britannique estime que l’économie de marché est un héritage judéo-chrétien, mais qui est devenu fou, et qui menace l’âme de l’Europe. Faisant le bilan élogieux d’un demi-siècle de contacts entre l’Eglise catholique et le judaïsme, Lord Sacks appelle de ses vœux une coopération dans les actes : « Le temps est venu pour passer du dialogue face-à-face au partenariat côte-à-côte. » Pour lui, juifs et catholiques font face à un ennemi commun, « les forces laïcistes à l’œuvre en Europe aujourd’hui qui mettent notre foi à l’épreuve et tente de la ridiculiser », et qui mettent en péril l’héritage spirituel du continent.

« Si l’Europe perd son héritage judéo-chrétien, qui lui a donné son identité historique et lui a permis d’accomplir des prouesses dans la littérature, l’art, la musique, l’éducation, la politique, et comme nous le verrons, l’économie, elle perdra son identité et à sa grandeur, non pas immédiatement, mais avant que ce siècle ne s’achève. (…) Quand une civilisation perd sa foi, elle perd son futur.  »


Le christianisme, succès de l’Occident

Lord Sacks cite alors le récent ouvrage de l’historien britannique Niall Ferguson, Civilisation, qui y raconte comment l’Académie chinoise des sciences sociales a donné il y a un demi-siècle pour mission à ses professeurs de découvrir pourquoi l’Occident était-il parvenu à dominer le monde, aux dépends de la Chine, pourtant dotée d’une brillante civilisation. Ils formulèrent d’abord l’hypothèse de sa supériorité en armement, puis évoquèrent son système économique capitaliste, que la République populaire a fini par adopter.

« Mais ces vingt dernières années, confie un de ces chercheurs chinois, nous avons réalisé que le cœur de votre culture est votre religion : le christianisme. Voilà pourquoi l’Occident a été si puissant. C’est la fondation chrétienne de la vie sociale et culturelle qui a permis l’émergence de votre système économique et politique. Nous n’avons aucun doute là-dessus !  »

« Il a raison, commente Lord Sacks. Ce qui a manqué à la Chine, c’est le christianisme.  »

Le rabbin suggère ainsi que la religion chrétienne, loin d’être un boulet archaïque au progrès, l’a tout simplement permis et accompagné en Occident, et tout particulièrement en Europe. La comparaison qu’il évoque avec la Chine est très à propos ; comme l’ont établi des études récentes de l’OCDE, l’Europe a dépassé la Chine aux alentours du XIIe siècle, période de l’âge gothique, du renouveau culturel du Moyen-âge et de la réforme de l’Eglise, et non au XIXe siècle, à la faveur des guerres perdues par l’Empire du Milieu, comme il est commun d’affirmer.

En démontrant que l’origine de la prospérité occidentale se trouve dans le capitalisme, né du christianisme, Lord Sacks précise : du catholicisme. Le rabbin torpille ainsi l’incontesté Max Weber et sa fameuse « éthique protestante du capitalisme », en soulignant d’une part, que cette éthique s’applique non au protestantisme dans son ensemble, mais au calvinisme, plus individualiste que la tradition luthérienne, et d’autre part, que c’est le catholicisme postérieur à la Réforme qui a jeté les bases du système économique moderne. Il cite à l’appui les travaux de l’auteur catholique américain Michael Novak, auteur de L’Ethique catholique et l’esprit du capitalisme, ainsi que ceux de Rodney Stark.

Ce dernier, sociologue des religions à l’Université baptiste de Baylor, au Texas, a démontré que les instruments financiers qui ont permi la naissance du capitalisme furent développés deux siècles avant la Réforme à Florence, Pise, Gênes et Venise.

Si le judéo-christianisme a donc permis la naissance du capitalisme, il en a aussi fourni les limites, comme la juste distribution des biens pour limiter la pauvreté, le refus de toute forme d’esclavage, et la propriété privée. Or, si ce n’est pas un hasard si des générations d’économistes juifs et chrétiens ont façonné le capitalisme actuel, « L’état financier de l’Europe serait meilleur aujourd’hui si ces individus connaissaient leur Bible  », estime Lord Sacks.


La tyrannie du marché

Selon le rabbin, le marché ne crée pas lui-même un équilibre stable, mais tend plutôt à générer une « destruction créative  ». En outre, le capitalisme, dans une contradiction culturelle interne, détruit les fondations morales qui ont permis son établissement, faisant de l’éthique judéo-chrétienne et des religions ses premières victimes, pour les remplacer par son propre principe moral incontestable, sa propre idéologie, ainsi que l’avait imaginé Adam Smith.

« En effet, affirme Lord Sacks, le marché de nous laisse pas le choix : la morale elle-même devient juste un jeu dans lesquels le bien et le mal n’ont aucune signification, au-delà de la satisfaction ou de la frustration du désir. Ce qui caractérise la personne humaine, la capacité d’évaluer sans ressentir le désir, mais aussi de se demander si ce désir devrait être satisfait, devient superflu. Nous avons beaucoup de mal à comprendre pourquoi il pourrait y avoir des choses nous voulons faire, et pouvons légalement, mais que nous ne devrions cependant pas faire, parce qu’ils sont injustes, avilissants ou déloyaux. Le fondamentalisme du marché, c’est l’Homo economicus qui renverse l’Homo sapiens. »

Se lançant dans un rappel des origines de la crise économique actuelle, née des prêts à risques à des destination des foyers modestes, le rabbin tance sévèrement les établissements financiers responsables de ce gâchis, citant le Lévitique : « Tu ne mettras rien devant un aveugle qui puisse le faire tomber ».

Alors que le Premier ministre britannique David Cameron a fait sortir le Royaume-Uni des négociations européennes, sous la pression de la City, lobby financier globalisé, qui refuse la moindre velléité de taxe ou de régulation, Lord Sacks demande : « La question fondamentale est de savoir qui peut contrôler cette corporation internationale, et qui peut dire ce qui est acceptable ou non  ». Tout en ajoutant : « Défendre la démocratie libérale et l’économie de marché par la seule régulation, sans songer au devoir de responsabilité et à la morale, est une erreur tragique. »


Un combat à mener

Le rabbin déplore un retour de l’Europe « aux derniers jours de la Rome non-chrétienne », et dresse la liste des « coupables », ou des symptômes de cette situation critique :

« l’athéisme agressif sourd à la musique de la foi ; le matérialisme réducteur aveugle à la puissance de l’esprit humain ; les entreprises mondiales incontrôlables et parfois plus puissantes que les gouvernements nationaux ; les formes de financement qui surpassent les organes chargés de leur régulation ; l’économie axée sur le consommateur ratatiné, et qui provoque un effilochement des liens sociaux, de la famille à la communauté, remplacés par les réseaux virtuels et autres smartphone, dont le résultat est de nous laisser “seuls, tous ensemble”. »

Notons à propos que, dans le concert de louanges qui avait suivi la disparition du créateur d’Apple Steve Jobs, la voix de Lord Sacks avait une des seules à s’élever contre la course supplémentaire au consumérisme narcissique que l’entrepreneur avait ouverte.

Le rabbin conclut son discours par un avertissement historique :

« Les superpuissances économiques ont une courte durée de vie : l’Espagne au XVe siècle, Venise au XVIe, la Hollande au XVIIe, la France, au XVIIIe, la Grande-Bretagne au XIXe siècle, l’Amérique du XXe siècle. Pendant ce temps le christianisme a survécu pendant deux mille ans, et le judaïsme deux fois plus longtemps. L’héritage judéo-chrétien est le seul système capable de vaincre la loi de l’entropie qui dit que tous les systèmes perdent de l’énergie au fil du temps. »


Collaborateurs de la Vérité

Ce discours de Lord Jonathan Sacks est bienvenu dans le contexte de crise globale que le monde traverse. Plus qu’une étape dans le dialogue interreligieux, et en particulier, dans la relation entre le judaïsme et l’Eglise catholique, qui tend à s’affermir sous le pontificat de Benoît XVI, c’est une réponse à l’invitation du pape aux « hommes de bonne volonté  » (préface de son encyclique Caritas in veritate) pour réfléchir sur le monde de demain.

En s’attaquant au système responsable de la tempête financière, le grand-rabbin du Commonwealth ravirait le cardinal Peter Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix, et auteur d’un document remarqué sur la crise économique [2] :

« En matière économique et financière, les difficultés plus importantes proviennent de l’absence d’un ensemble efficace de structures capable de garantir, en plus d’un système de gouvernance, un système de gouvernement de l’économie et de la finance internationale. »

Reprenant le vœu de Benoît XVI dans Caritas in veritate, le cardinal s’était prononcé pour la création d’un « autorité publique universelle  », capable d’encadrer l’économie mondiale. Une idée rejetée avec une rare violence par des laïcs « libéraux-conservateurs », tant aux Etats-Unis qu’en France.

Outre sa proposition d’une collaboration approfondie entre juifs et catholiques, la réflexion de l’invité de la Grégorienne sur le rôle non pas majeur, mais existentiel du christianisme (et avec lui, de l’apport du judaïsme) dans ce qu’est l’Occident est très stimulante. Le rabbin est ici sur la même longueur d’onde que Benoît XVI.

Il est intéressant que Lord Sacks cite Rodney Stark dans son discours, auteur du Triomphe de la raison, qui explique justement en quoi le judéo-christianisme a façonné l’Occident et la modernité.

Celui-ci a en effet opéré une distinction entre judaïsme et christianisme dans l’essor du monde moderne : pour lui, si l’interprétation de la loi prend une grande place chez les Juifs, celle-ci, tout comme le rapport des musulmans au Coran, repose sur le précédent, et s’ancre donc dans le passé. En revanche, le christianisme, par le développement du dogme, pousse sans cesse à mieux comprendre Dieu, et suppose donc la possibilité du progrès. Stark ajoute que la théologie, science qui consiste à raisonner de façon formelle sur Dieu, a insufflé à l’Occident son caractère hautement rationnel.

L’universitaire américain écrit notamment : « Pour beaucoup de non-Européens, devenir chrétien revient intrinsèquement à devenir moderne »… De quoi méditer sur la mission des catholiques à se réapproprier la modernité.

[1] http://ukinholysee.fco.gov.uk/en/news/?view=News&id=705409282
[2] http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/Pour-une-reforme-du-systeme-financier-et-monetaire-international-dans-la-perspective-d-une-autorite-publique-a-competence-universelle-_NG_-2011-10-24-726863