Cardinal Philippe Barbarin
L’indifférence des intellectuels et du gouvernement français envers le massacre
des chrétiens d’Irak devrait nous bouleverser, s'indigne le cardinal Philippe
Barbarin, archevêque de Lyon, dans cette lettre parvenue à Zenit (agence d'information basée à Rome)
Les mots semblent impuissants
devant la tragédie des chrétiens d’Orient. En Irak, les informations parfois
contradictoires qui nous parviennent témoignent du chaos et de l’angoisse de
nos frères. Mardi soir, j’ai reçu l’appel du patriarche des Chaldéens, Louis-Raphaël
Ier Sako que j’avais eu la joie d’accueillir à Lyon en mars. Il est
actuellement en synode avec une vingtaine d’évêques de la région. Il me dit que
la situation est effrayante, mais que des menaces beaucoup plus graves sont
encore à venir. L’éradication des minorités religieuses n’est hélas pas un
dommage collatéral de la folle stratégie des assassins : c’est leur but
affiché.
En France, il faut bien le dire,
la situation des chrétiens d’Irak n’est pas un grand générateur d’émotions.
Comment expliquer que, jusque dans nos paroisses, nous ne portions pas
davantage le souci de nos frères d’Orient ? Plusieurs raisons l’expliquent sans
doute. La presse est le reflet des consciences de notre pays : les chrétiens de
là-bas sont considérés comme un problème étranger. Il y a sans doute aussi une
espèce de fatalisme : la région est en proie à des secousses meurtrières depuis
si longtemps que tous, nous nous habituons à l’inacceptable.
Le fait qu’ici, en Occident, les
religions soient officiellement respectées mais aussi fréquemment suspectées,
n’arrange rien. La situation des chrétiens persécutés dans le monde ne provoque
souvent chez nos politiques qu’une compassion polie, tardive et peu suivie
d’effets. Asia Bibi entame sa quatrième année de détention préventive dans une
prison pakistanaise de haute sécurité sans que cela n’empêche grand monde de
dormir ; ces dernières semaines, Meriam Yahia Ibrahim Ishag a accouché dans les
prisons soudanaises, enchaînée pour allaiter son petit dans le couloir de la mort
; la pression américaine a permis une libération… de quelques heures,
puisqu’elle a de nouveau été arrêtée. Là encore, il a manqué de grandes voix
françaises pour s’y opposer simplement, fortement, fermement.
Le réflexe communautaire d’un
groupe humain l’invite à défendre ses membres. Que les chrétiens aient reçu la
vocation d’aimer tout homme sans distinction de race, de culture ou de religion
est un enseignement directement issu de l’Évangile. Mais, de grâce ! que cela
ne nous fasse pas fermer les yeux sur les malheurs de nos frères les plus
proches.
En 1794, l’un des plus grands
massacres de prêtres de notre histoire s’est déroulé à Rochefort. 829 prêtres
réfractaires y ont été déportés par le Comité de Salut public ; sur les 829,
seuls 274 survécurent : ils firent le serment de ne jamais parler de l’horreur
qu’ils avaient vécue, pour permettre à la France de se relever. Aujourd’hui, la
ville de Karakosh, dans la plaine de Ninive, est devenue sous l’afflux des
réfugiés la plus grande ville chrétienne d’Irak. Entendez-vous le cri qui monte
? C’est celui d’un camp de réfugiés. Karakosh n’est pas Rochefort, car le
massacre est en cours. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas rester silencieux.
Le Patriarche me disait hier
qu’une partition du pays serait préférable à une guerre civile qui tue d’abord
les innocents. Si seulement la communauté internationale pouvait aider à
trouver une solution… Mais n’attendons pas tout des États et de leur
diplomatie. Agissons ici et maintenant, comme le Pape nous y a appelés. Lorsque
Jean-Paul II m’a accueilli dans le collège des cardinaux, il a insisté sur le
sens de la pourpre cardinalice : c’est le rappel du sang des martyrs. C’est
pourquoi j’appelle aujourd’hui les chrétiens d’ici à faire monter vers le ciel
une prière fervente pour nos frères d’Orient. Je les invite à cultiver la
conscience de cette fraternité qui nous lie par-delà les kilomètres et les
siècles. Je veux leur redire les paroles du Patriarche : « Ce qui nous manque
le plus, c’est votre proximité, votre solidarité. Nous voulons avoir la
certitude que nous ne sommes pas oubliés ! »
Je propose d’encourager les
associations œuvrant dans la plaine de Ninive. Je supplie les chrétiens d’ici
et tous les hommes et femmes de bonne volonté qui travaillent dans les secteurs
de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, de l’aide d’urgence de venir en
aide aux survivants. J’ai le désir de lancer un jumelage entre notre diocèse et
l’un de ceux qui en a le plus besoin. Je suggère qu’un pourcentage des quêtes
de nos paroisses qui le souhaitent soit versé durant l’année qui vient pour le
soulagement de la détresse de nos frères d’Irak. J’invite tous les chrétiens à
rester éveillés et attentifs, à être les veilleurs de leurs frères.
Que les héritiers de saint Pothin
deviennent les frères de ceux de saint Thomas, apôtre de l’Orient. Comme l’a
dit le pape François, nous sommes face à un œcuménisme de sang : ce ne sont pas
des catholiques, des protestants, des orthodoxes que l’on martyrise : ce sont
des chrétiens. Il est d’ailleurs à craindre que les persécutions ne
s’arrêteront pas aux chrétiens. Il faut dès aujourd’hui que la ville de
Karakosh devienne un sanctuaire pour tous les belligérants, et un havre de paix
pour les populations civiles qui, par milliers et de toutes les confessions, y
affluent. Car ce sont des hommes que l’on tue, dans le silence, entre deux olas
d’un stade de foot brésilien.
Le Patriarche me l’a dit : « Nous
gardons espoir, mais comme vous le savez, l’espoir est fragile. » Et si leur
espoir était aussi entre nos mains ? Le pape François le rappelle : « Les
chrétiens persécutés pour leur foi sont si nombreux ! Jésus est avec eux. Nous
aussi. » Nous aussi !
CARDINAL PHILIPPE BARBARIN
Archevêque de Lyon
Primat des Gaules