Chemin de Croix au Colisée de Rome
Prédication du
Vendredi Saint: "Il y avait aussi avec eux Judas, le traître"
Célébration de la
Passion en la basilique Saint-Pierre
Rome,
18 avril 2014 (Zenit.org)
P.
Raniero Cantalamessa O.F.M.Cap.
« Il y avait aussi avec eux
Judas, le traître »
Prédication du Vendredi Saint
2014, en la basilique Saint-Pierre
L’histoire divine et humaine de
Jésus renferme de nombreux petits récits d’hommes et de femmes entrés dans le
rayon de sa lumière ou de son ombre. Le plus tragique est celui de Judas
Iscariote. L’un des rares faits attestés, avec la même importance, par les
quatre Evangiles et par le reste du Nouveau Testament. La première communauté
chrétienne a beaucoup réfléchi à son histoire et nous ferions mal de ne pas
faire la même chose. Celle-ci a tant à
nous dire.
Judas a été choisi dès la
première heure pour être l’un des Douze. En insérant son nom dans la liste des
apôtres l’évangéliste Luc écrit « Juda Iscariote qui devint (egeneto) un
traître » (Lc 6, 16). Donc Judas n’était pas né traître et il ne l’était pas au
moment où Jésus l’a choisi; il le devint ! Nous sommes devant un des drames les
plus sombres de la liberté humaine.
Pourquoi le devint-il ? Il n’y a
pas si longtemps, quand la thèse de Jésus « révolutionnaire » était à la mode,
on a cherché à donner à son geste des motivations idéales. Certains ont vu dans
son surnom « Iscariote » une déformation du mot « sicariote », c’est-à-dire
faisant partie du groupe de zélotes extrémistes qui prônaient l’emploi du
glaive (sica) contre les Romains; d’autres ont pensé que Judas a été déçu de la
façon dont Jésus suivait son idée du « royaume de Dieu » et qu’il voulait lui
forcer la main, en le poussant à agir aussi au plan politique contre les
païens. C’est le Judas du célèbre « Jésus Christ Superstar » et d’autres
spectacles et romans récents. Un Judas pas loin d’un autre célèbre traître de
son bienfaiteur : Brutus, qui tua Jules César, en pensant de sauver ainsi la
république!
Ces reconstructions sont
respectables quand elles revêtent quelque dignité littéraire ou artistique,
mais elles n’ont aucun fondement historique. Les évangiles – seules sources
dignes de foi que nous ayons sur le personnage – parlent d’un motif plus
terre-à-terre : l’argent. Judas avait reçu la garde de la bourse commune du
groupe; à l’occasion de l’onction de Béthanie il avait protesté contre le
gaspillage du précieux parfum versé par Marie sur les pieds de Jésus, non pas
par souci des pauvres, relève Jean, mais parce que « c’était un voleur : comme
il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait » (Jn 12,6). Sa proposition aux chefs des prêtres est
explicite: « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent
trente pièces d’argent » (Mt 26, 15).
* *
*
Mais pourquoi être surpris par
cette explication et la trouver trop banale ? N’est-ce pourtant pas presque
toujours comme ça aujourd’hui ? Mammon, l’argent, n’est pas une idole parmi
tant d’autres; c’est l’idole par antonomase : littéralement, « l’idole en métal
fondu » (cf. Ex 34, 17). Et l’on comprend pourquoi. Qui est, objectivement,
sinon subjectivement (autrement dit, dans les faits, si non dans les
intentions), le vrai ennemi, le concurrent de Dieu, dans ce monde ? Satan ?
Mais aucun homme ne décide de servir Satan, sans raison. S’il le fait c’est
parce qu’il croit obtenir de lui quelque pouvoir ou quelque bénéfice temporel.
Qui est, dans les faits, l’autre-maître, l’anti-Dieu, Jésus nous le dit
clairement: « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera
l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas
servir à la fois Dieu et l’Argent » (Mt 6, 24). L’argent est le « dieu visible
», contrairement au vrai Dieu qui est invisible.
Mammon est l’anti-dieu car il
crée un univers spirituel alternatif, donne un autre objet aux vertus
théologales. La foi, l’espérance et la charité ne reposent plus sur Dieu, mais
sur l’argent. Une affreuse inversion de toutes les valeurs se met en marche. «
Tout est possible pour celui qui croit », disent les Ecritures (Mc 9, 23); or
le monde dit : « Tout est possible pour celui qui a de l’argent ». Et, à un
certain niveau, tous les faits semblent lui donner raison.
« La racine de tous les maux –
disent les Ecritures - c’est l’amour de l’argent” (1 Tm 6,10). Derrière chaque
mal de notre société il y a l’argent, ou du moins il y a aussi l’argent. Celui-ci est le Moloch de la Bible,
auquel on sacrifiait les petits garçons et les petites filles (cf. Jr 32, 35),
soit le dieu aztèque, auquel il fallait offrir quotidiennement un certain
nombre de cœurs humains. Qu’y a-t-il derrière le commerce de la drogue qui
détruit tant de vies humaines, l’exploitation de la prostitution, le phénomène
des différentes mafias, la corruption politique, la fabrication et le commerce
des armes, voire même – chose horrible à se dire – derrière la vente d’organes humains enlevés à
des enfants ? Et la crise financière que le monde a traversé et que ce pays
traverse encore, n’est-elle pas due en bonne partie à cette « exécrable avidité
d’argent », l’auri sacra fames, de la part de quelques uns ? Judas commença par
soutirer un peu d’argent de la caisse commune. Cela ne dit-il rien à certains
administrateurs de l’argent public ?
Mais sans penser à ces moyens criminels
pour accumuler de l’argent, n’est-il déjà pas un scandale que certains
perçoivent des salaires et des retraites cinquante ou cent fois supérieurs aux
salaires et retraites de ceux qui travaillent à leurs dépendances et qu’ils
élèvent la voix dès que se profile l’éventualité de devoir renoncer à quelque
chose, en vue d’une plus grand justice sociale?
Dans les années 70 et 80, pour
expliquer, en Italie, les soudains renversements politiques, les jeux occultes
de pouvoir, le terrorisme et les mystères en tout genre dont était frappée la
coexistence civile, s’affirmait l’idée, presque mythique, de l’existence d’un «
grand Vieux » : un personnage rusé et puissant qui, en coulisses, aurait
manipulé tous les fils, à des fins que lui seul connaissait. Ce « grand Vieux »
existe vraiment, ça n’est pas un mythe ; il s’appelle Argent!
Comme toutes les idoles, l’argent
est « faux et menteur » : il promet la sécurité alors qu’il l’enlève ; il
promet la liberté alors qu’il la détruit. Saint François d’Assise décrit, de
manière inhabituellement sévère, la fin d’une personne ayant vécu uniquement
pour augmenter son « capital ». La mort approche ; on fait venir le prêtre.
Celui-ci demande au moribond: « Veux-tu recevoir l’absolution de tes péchés ?
», et il « oui »: « Veux-tu, dans la mesure où tu le peux, prendre sur ta
fortune pour réparer tes fautes et restituer à ceux que tu as volés et trompés
? » Et lui: « Je ne peux pas ». « Pourquoi ne peux-tu pas ? » « Parce que j'ai
tout remis entre les mains de mes parents et amis ». Ainsi, il meurt impénitent
et dès qu’il est mort ses parents et ses amis disent entre eux: « Maudite soit
son âme ! Il aurait pu amasser bien d’avantage
et nous le laisser, et il ne l’a pas fait! »
Que de fois, en cette période,
avons-nous dû repenser à ce cri que Jésus lança au riche de la parabole qui
avait amassé des biens à n’en plus finir et qui se sentait en sécurité pour le
restant de sa vie: « Cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu
auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12,20). Des hommes placés à des postes de
responsabilité qui ne savaient plus dans quelle banque ou dans quel paradis
fiscal amasser les recettes de leur corruption se sont retrouvés sur le banc
des accusés, ou dans la cellule d’une prison, juste au moment où ils
s’apprêtaient à se dire: « Maintenant profites-en, mon âme ». Pour qui
l’ont-ils fait ? Cela valait-il la peine? Ont-ils vraiment fait le bien de
leurs enfants et de leur famille, ou du parti, si c’est cela qu’ils
cherchaient? Ou alors ne se sont-ils pas ruinés eux-mêmes et les autres ? Le
dieu argent se charge de punir lui-même ses adorateurs.
* *
*
La trahison de Judas continue
dans l’histoire et le « trahi » c’est toujours lui, Jésus. Judas vendit le
chef, ses adeptes vendent son corps, parce que les pauvres sont les membres du
Christ: « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes
frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Mais la trahison de
Judas ne se poursuit pas seulement dans les affaires retentissantes comme
celles que je viens d’évoquer. Ça serait pratique pour nous de penser cela,
mais il n’en est pas ainsi. L’homélie que don Primo Mazzolari prononça un Jeudi
Saint sur « Notre frère Judas » est restée célèbre : « Laissez-moi penser un
moment au Judas qui est au fond de moi, avait-il dit aux quelques paroissiens
présents devant lui, au Judas qui est peut-être aussi en vous ».
On peut trahir Jésus aussi pour
d’autres formes de récompense qui ne soient pas les trente pièces d’argent.
Trahit le Christ celui ou celle qui trahit son épouse ou son époux. Trahit
Jésus le ministre de Dieu infidèle à son état, ou qui au lieu de paître ses
brebis se paît lui-même. Trahit Jésus quiconque trahit sa conscience. Je peux
le trahir moi aussi, en ce moment – et la chose me fait trembler – si pendant
que je prêche sur Judas je me préoccupe plus de l’approbation de l’auditoire
que de participer à l’immense peine du Sauveur. Judas avait des circonstances
atténuantes que nous n’avons pas. Il ne savait pas qui était Jésus, il pensait
seulement qu’il était « un homme juste » ; il ne savait pas qu’il était le Fils
de Dieu, nous, si.
Comme chaque année, à l’approche
de Pâques, j’ai voulu réécouter la « Passion selon saint Matthieu » de Bach. Il
y a un détail qui me fait sursauter à chaque fois. A l’annonce de la trahison
de Judas, tous les apôtres demandent à Jésus: « Serait-ce moi, Seigneur ? » «
Herr, bin ich’s ? » Mais avant de nous faire écouter la réponse du Christ,
annulant toute distance entre l’événement et sa commémoration, le compositeur
insère un chœur qui commence ainsi: «
C’est moi, c’est moi le traître !
Je dois faire pénitence ! », « Ich bin’s, ich sollte büßen ». Comme tous les
chœurs de cette œuvre, celui-ci exprime les sentiments du peuple qui écoute; il
est une invitation à confesser nous aussi nos péchés.
* *
*
L’Evangile décrit la fin horrible
de Judas: « Alors, en voyant que Jésus
était condamné, Judas, qui l’avait livré, fut pris de remords ; il rendit les
trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens. Il leur dit : « J’ai
péché en livrant à la mort un innocent. » Ils répliquèrent : « Que nous importe
? Cela te regarde ! » Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se
retira et alla se pendre » (Mt 27, 3-5). Mais ne portons pas de jugement hâtif.
Jésus n’a jamais abandonné Judas et personne ne sait où il est tombé au moment
il s’est lancé de l’arbre, la corde au cou: si c’est dans les mains de Satan ou
dans celles de Dieu. Qui peut dire ce qui s’est passé dans son âme à ces derniers
instants ? « Ami », avait été le dernier mot de Jésus à son égard dans le
jardin des oliviers et il ne pouvait l’avoir oublié, tout comme il ne pouvait
avoir oublié son regard.
Il est vrai qu’en parlant de ses
disciples au Père, Jésus avait dit de Judas: « Aucun ne s’est perdu, sauf celui
qui s’en va à sa perte » (Jn 17, 12), mais ici, comme dans tant d’autres
cas, il parle dans la perspective du
temps et non de l’éternité. L’autre parole terrible dite sur Judas: « Il
vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » (Mc 14, 21) s’explique elle aussi par
l’énormité du fait, sans besoin de penser à un échec éternel. Le destin éternel
de la créature est un secret inviolable de Dieu. L’Eglise nous garantit qu’un
homme ou une femme proclamés saints sont dans la béatitude éternelle; mais
d’aucun celle-ci ne sait s’il est certainement en enfer.
Dante Alighieri qui, dans la
Divine Comédie, situe Judas dans les profondeurs de l’enfer, raconte la
conversion au dernier moment de Manfred, le fils de Frédéric II, roi de Sicile.
Tout le monde, à l’époque, pensait qu’il
était damné parce que mort excommunié. Blessé à mort durant une bataille, il
confie au poète qu’au dernier moment de sa vie, il se rendit en pleurant à
celui « qui volontiers pardonne » et du purgatoire, à travers le poète, envoie
sur terre ce message qui vaut aussi pour nous :
Horribles furent mes péchés;
Mais la bonté divine a si grands
bras
Qu’elle prend ce qui se rend à
elle. (Purgatoire,III, 118-120).
* *
*
Voilà à quoi l’histoire de notre
frère Judas doit nous pousser: à nous rendre à celui qui volontiers pardonne, à
nous jeter nous aussi dans les grands bras du crucifié. Dans l’histoire de
Judas, ce qui importe le plus , ce n’est pas sa trahison, mais la réponse que
Jésus lui donne. Il savait bien ce qui était en train de mûrir dans le cœur de
son disciple ; mais il ne l’expose pas, il veut lui donner la possibilité
jusqu’à la fin de revenir en arrière, comme s’il le protégeait. Il sait
pourquoi il est venu, mais il ne refuse pas, dans le Jardin des oliviers, son
baiser de glace, allant même jusqu’à l’appeler mon ami (Mt 26, 50). De même qu'il chercha le visage
de Pierre après son reniement pour lui donner son pardon, qui sait s’il n’aura
pas cherché aussi celui de Judas à quelque tournant de son chemin de croix!
Quand sur la croix il prie: « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils
font » (Lc 23, 34), il n’exclut certainement pas Judas.
Alors, nous, que ferons-nous ?
Qui suivrons-nous, Judas ou Pierre ? Pierre eut des remords de ce qu’il avait
fait, mais Judas eut lui aussi un tel remord qu’il s’écria : « J’ai trahi le
sang innocent !» et il rendit les trente pièces d’argent. Alors, où est la
différence ? En une seule chose: Pierre eut confiance en la miséricorde du
Christ, pas Judas! Le plus grand péché de Judas ne fut pas d’avoir trahi Jésus,
mais d’avoir douté de sa miséricorde.
Si nous l’avons imité, qui plus
qui moins, dans la trahison, ne l’imitons pas dans ce manque de confiance dans
le pardon. Il existe un sacrement où il est possible de faire une expérience
sûre de la miséricorde du Christ : le sacrement de la réconciliation. Quel beau
sacrement ! Il est doux de faire l’expérience de Jésus comme maître, comme
Seigneur, mais encore plus doux d’en faire l’expérience comme Rédempteur :
comme celui qui vous sort du gouffre,
comme Pierre de la mer, qui vous touche, comme il fit avec le lépreux, et vous
dit : « Je le veux, sois purifié ! » (Mt 8,3).
La confession nous permet de
vivre ce que l’Eglise dit du péché d’Adam dans l’Exultet pascal: « O heureuse
faute qui nous a mérité un tel et un si grand Rédempteur! » Jésus sait faire de
toutes les fautes humaines, une fois que nous sommes repentis, des « heureuses
fautes », des fautes dont on ne garde aucun souvenir si ce n’est celui de
l’expérience de miséricorde et de tendresse divine dont elles furent
l’occasion!
J’ai un vœu à faire, à moi-même
et à vous tous, Vénérables Pères, frères et sœurs: que le matin de Pâques nous
puissions nous réveiller et entendre résonner dans nos cœurs les paroles d’un
grand converti de notre temps, le poète et dramaturge Paul Claudel:
« Mon Dieu, je suis ressuscité et
je suis encore avec Toi !
Je dormais et j’étais couché
ainsi qu’un mort dans la nuit.
Dieu dit : Que la lumière soit !
Et je me suis réveillé comme on pousse un cri ! […]
Mon père qui m’avez engendré
avant l’Aurore, je me place dans Votre Présence.
Mon cœur est libre et ma bouche
est nette, mon corps et mon esprit sont à jeun.
Je suis absous de tous mes péchés
que j’ai confessés un par un.
L’anneau nuptial est à mon doigt
et ma face est nettoyée.
Je suis comme un être innocent
dans la grâce que Vous m’avez octroyée ».
(Paul Claudel, Prière pour le
dimanche matin, in Œuvres poétiques (Paris: Gallimard, 1967), 377).
C'est cela que la Pâque du Christ
peut faire de nous.
Semaine Sainte 2014
Quand tout semble perdu, Dieu intervient par la Résurrection
La victoire de Dieu, dans l'échec
apparent
Catéchèse sur la Semaine Sainte
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, au milieu de la
Semaine sainte, la liturgie nous présente un triste épisode: le récit de la trahison de Judas qui
se rend chez les chefs de la synagogue pour marchander et leur livrer son
maître: « Que voulez-vous me donner si je vous le livre ? ». À ce moment-là,
Jésus a un prix. Cet acte dramatique marque le début de la Passion du Christ,
un parcours douloureux qu’il choisit dans une liberté absolue. Il le dit
lui-même clairement : « Je donne ma vie… Personne ne me l’enlève ; mais je la
donne de moi-même. J’ai pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre »
(Jn 10,17-18). Et ainsi, avec cette trahison, commence la voie de
l’humiliation, du dépouillement de Jésus. Comme s’il était au marché : celui-ci
coûte trente pièces d’argent… Jésus, une fois engagé sur la voie de
l’humiliation et du dépouillement, la parcourt jusqu’au bout.
Jésus atteint l’humiliation
totale avec sa « mort sur la croix ». Il s’agit de la pire des morts, celle qui
était réservée aux esclaves et aux délinquants. Jésus était considéré comme un
prophète, mais il meurt comme un délinquant. En regardant Jésus dans sa
passion, nous voyons comme dans un miroir les souffrances de l’humanité et nous
trouvons la réponse divine au mystère du mal, de la douleur, de la mort. Nous
éprouvons si souvent de l’horreur face au mal et à la souffrance qui nous
entourent et nous nous demandons : « Pourquoi Dieu permet-il cela ? » C’est une
profonde blessure pour nous de voir la souffrance et la mort, en particulier
celle des innocents. Quand nous voyons souffrir des enfants, cela blesse notre
cœur : c’est le mystère du mal. Et Jésus prend sur lui tout ce mal, toute cette
souffrance. Cette semaine, cela nous fera du bien à tous de regarder le
crucifix, d’embrasser les plaies de Jésus, de les embrasser sur le crucifix. Il
a pris sur lui toute la souffrance humaine, il s’est revêtu de cette
souffrance.
Nous attendons que, dans sa
toute-puissance, Dieu soit vainqueur de l’injustice, du mal, du péché et de la
souffrance par une victoire divine triomphante. Au contraire, Dieu nous montre
une victoire humble qui, à vue humaine, semble un échec. Nous pouvons dire que
Dieu est vainqueur dans l’échec ! Le Fils de Dieu, en effet, apparaît sur la
croix comme un homme vaincu : il souffre, il est trahi, bafoué et finalement il
meurt. Mais Jésus permet que le mal s’acharne contre lui et il le prend sur lui
pour le vaincre. Sa passion n’est pas un accident ; sa mort – cette mort –
était « écrite ». Vraiment, nous ne trouvons pas beaucoup d’explications. Il
s’agit d’un mystère déconcertant, le mystère de la grande humilité de Dieu : «
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). Cette
semaine, pensons beaucoup à la douleur de Jésus et disons-nous à nous-mêmes :
c’est pour moi. Même si j’avais été seul au monde, il l’aurait fait. Il l’a
fait pour moi. Embrassons le crucifix et disons : pour moi. Merci Jésus! Pour
moi.
Quand tout semble perdu, quand il
ne reste plus personne parce qu’ils frapperont « le pasteur, et les brebis du
troupeau seront dispersées » (Mt 26,31), c’est alors que Dieu intervient avec
la puissance de la résurrection. La résurrection de Jésus n’est pas la fin
heureuse d’une belle fable, ce n’est pas le « happy end » d’un film ; mais
c’est l’intervention de Dieu le Père, là où se brise l’espérance humaine. Au
moment où tout semble perdu, au moment de la douleur, lorsque tant de personnes
éprouvent comme le besoin de descendre de la croix, c’est le moment le plus
proche de la résurrection. La nuit devient plus obscure précisément avant que
ne se lève le jour, avant que ne pointe la lumière. Au moment le plus obscur,
Dieu intervient et ressuscite.
Jésus, qui a choisi de passer par
cette voie, nous appelle à le suivre sur le même chemin d’humiliation. Lorsque,
à certains moments de notre vie, nous ne trouvons aucune voie de sortie de nos
difficultés, lorsque nous plongeons dans l’obscurité la plus dense, c’est le
moment de notre humiliation et de notre dépouillement total, l’heure où nous
expérimentons que nous sommes fragiles et pécheurs. C’est justement alors, à ce
moment-là, que nous ne devons pas cacher notre échec, mais nous ouvrir avec
confiance à l’espérance en Dieu, comme l’a fait Jésus.
Chers frères et sœurs, cette
semaine, cela nous fera du bien de prendre le crucifix dans nos mains et de
beaucoup l’embrasser, beaucoup, en disant : merci Jésus, merci Seigneur. Ainsi
soit-il.
Homélie du dimanche des Rameaux
"Où est mon cœur ?", la
question à se poser devant l’Évangile de la Passion
Homélie du Dimanche des Rameaux
Cette semaine commence par la
procession festive avec les rameaux d'olivier : tout le peuple accueille Jésus.
Les enfants, les jeunes chantent, louent Jésus.
Mais cette semaine se poursuit
dans le mystère de la mort de Jésus et de sa résurrection. Nous avons écouté la
Passion du Seigneur. Cela nous fera du bien de nous poser une seule question :
qui suis-je ? Qui suis-je, devant mon Seigneur ? Qui suis-je, en face de Jésus
qui entre dans la fête à Jérusalem ? Suis-je capable d'exprimer ma joie, de le
louer ? Ou est-ce que je prends de la distance ? Qui suis-je, devant Jésus qui
souffre?
Nous avons entendu tant de noms,
tant de noms. Le groupe des dirigeants, certains prêtres, certains pharisiens,
certains docteurs de la loi, qui avaient décidé de le tuer. Ils attendaient
l'occasion de l'arrêter. Suis-je comme l'un d'eux ?
Nous avons entendu aussi un autre
nom : Judas. 30 pièces d'argent. Suis-je comme Judas ? Nous avons entendu
d'autres noms : les disciples qui ne comprenaient rien, qui s'endormaient
pendant que le Seigneur souffrait. Ma vie est-elle endormie ? Ou suis-je comme
les disciples, qui ne comprenaient pas ce qu'était que de livrer Jésus ? Comme
cet autre disciple qui voulait tout résoudre par l'épée : suis-je comme eux ?
Suis-je comme Judas, qui fait semblant d'aimer et embrasse le Maître pour le
livrer, pour le trahir ? Suis-je un traître ? Suis-je comme ces dirigeants qui
dressent un procès hâtif et cherchent de faux témoins : suis-je comme eux ? Et
quand je fais ces choses, si je le fais, est-ce que je crois qu'ainsi je sauve
le peuple ?
Suis-je comme Pilate ? Quand je
vois que la situation est difficile, est-ce que je me lave les mains, ne sais
pas assumer ma responsabilité et laisse condamner – ou bien je condamne
moi-même – les personnes ?
Suis-je comme cette foule qui ne
savait pas bien si elle était dans une réunion religieuse, dans un procès ou
dans un cirque, et qui choisit Barabbas ? Pour eux c'est la même chose : il
était plus amusant d'humilier Jésus.
Suis-je comme les soldats qui
frappent le Seigneur, lui crachent dessus, l'insultent, s'amusent avec
l'humiliation du Seigneur ?
Suis-je comme le Cyrénéen qui
rentrait du travail, fatigué, mais qui a eu la bonne volonté d'aider le
Seigneur à porter la croix ?
Suis-je comme ceux qui passaient
devant la Croix, et qui se moquaient de Jésus : "Il était si courageux !
Descends de la croix, pour que nous croyions en Lui!". Se moquer de Jésus…
Suis-je comme ces femmes
courageuses, et comme la Maman de Jésus, qui étaient là, et souffraient en
silence ?
Suis-je comme Joseph, le disciple
caché, qui porte le corps de Jésus avec amour, pour lui donner une sépulture ?
Suis-je comme les deux Marie qui
restent devant le Sépulcre en pleurant, en priant ?
Suis-je comme ces chefs qui le
jour suivant sont allés dire à Pilate : "Attention il a dit qu'il
ressusciterait. Qu'il n'y ait pas d'autre mensonge !", et qui bloquent la
vie, bloquent le sépulcre pour défendre la doctrine, pour que la vie ne sorte
pas ?
Où est mon cœur ? A laquelle de
ces personnes est-ce que je ressemble ? Que cette question nous accompagne
durant toute la semaine.
Le Christ est la Résurrection et la Vie
Sortir de l'aveuglement
Sortir de l'aveuglement,
programme du carême
Angélus du 30 mars 2014
Chers frères et sœurs, bonjour,
L’Evangile du jour présente
l’épisode de l’homme aveugle de naissance, auquel Jésus donne la vue. Le long
récit s’ouvre par un aveugle qui commence à voir et se ferme – cela est curieux
– avec des voyants présumés qui continuent à rester aveugles dans leur âme. Le
miracle est raconté par Jean en deux versets à peine, car l’évangéliste veut
attirer l’attention non pas sur le miracle en soi, mais sur ce qui arrive
ensuite, sur les discussions qu’il suscite ; sur les bavardages aussi : si
souvent, une bonne œuvre, une œuvre de charité suscite des médisances et des
discussions, car certains ne veulent pas voir la vérité. L’évangéliste Jean
veut attirer l’attention sur ce qui arrive aussi de nos jours lorsque l’on fait
une bonne œuvre. L’aveugle guéri est d’abord interrogé par la foule étonnée –
ils ont vu le miracle et l’interrogent – puis par les docteurs de la loi ; ces
derniers interrogent aussi ses parents. A la fin l’aveugle guéri parvient à la
foi, et c’est la grâce la plus grande qui lui est faite par Jésus : non
seulement de voir, mais de Le connaître, de Le voir comme « la lumière du monde
» (Jn 9,5).
Alors que l’aveugle s’approche
graduellement de la lumière, les docteurs de la loi au contraire s’enlisent
toujours plus dans leur cécité intérieure. Enfermés dans leurs présomptions,
ils croient déjà avoir la lumière; à cause de cela ils ne s’ouvrent pas à la
vérité de Jésus. Ils font tout pour nier l’évidence. Ils mettent en doute
l’identité de l’homme guéri ; puis ils nient l’action de Dieu dans la guérison,
en prenant comme excuse que Dieu n’agit pas le samedi ; ils en arrivent même à
douter que l’homme soit né aveugle. Leur fermeture à la lumière devient
agressive et aboutit à l’expulsion de l’homme guéri du temple.
Le chemin de l’aveugle au
contraire est un parcours à étapes, qui part de la connaissance du nom de
Jésus. Il ne connaît rien de Lui; en effet il dit : « L'homme qu'on appelle Jésus
a fait de la boue, il m'en a frotté les yeux » (v.11). Après les questions
pressantes des docteurs de la loi, il le considère d’abord comme un prophète
(v.17) et puis un homme proche de Dieu (v.31). Après qu’il ait été éloigné du
temple, exclu de la société, Jésus le trouve de nouveau et lui "ouvre les
yeux" pour la seconde fois, en lui révélant son identité : « Je suis le
Messie », lui dit-il. A ce moment-là celui qui avait été aveugle s’exclame : «
Je crois, Seigneur ! » (v.38), et se prosterne devant Jésus. C’est un passage
de l’Evangile qui montre le drame de la cécité intérieure de tant de personnes,
y compris la nôtre car parfois nous avons des moments de cécité intérieure.
Notre vie est parfois semblable à
celle de l’aveugle qui s’est ouvert à la lumière, qui s’est ouvert à Dieu, qui
s’est ouvert à sa grâce. Parfois malheureusement elle est un peu comme celle
des docteurs de la loi : du haut de notre orgueil nous jugeons les autres, et
même le Seigneur ! Aujourd’hui, nous sommes invités à nous ouvrir à la lumière
du Christ pour porter du fruit dans notre vie, pour éliminer les comportements
qui ne sont pas chrétiens ; nous tous sommes chrétiens, mais nous tous, tous,
nous avons parfois des comportements non chrétiens, des comportements de péché.
Nous devons nous en repentir, éliminer ces comportements pour marcher
résolument sur la voie de la sainteté. Elle prend son origine dans le Baptême.
Nous aussi en effet nous avons été "éclairés" par le Christ dans le
Baptême, afin que, comme nous le rappelle saint Paul, nous puissions nous
comporter comme « des enfants de lumière » (Eph 5,8), avec humilité, patience,
miséricorde. Ces docteurs de la loi n’avaient ni humilité, ni patience, ni
miséricorde !
Je vous suggère, aujourd’hui,
quand vous rentrerez chez vous, de prendre l’Evangile de Jean et de lire ce
passage du chapitre 9. Cela vous fera du bien, car vous verrez cette route de
la cécité à la lumière et l’autre mauvaise route vers une plus profonde cécité.
Demandons-nous comment est notre cœur. Ai-je un cœur ouvert ou un cœur fermé ?
Ouvert ou fermé envers Dieu ? Ouvert ou fermé envers le prochain ? Nous avons
toujours en nous quelque fermeture née du péché, des fautes, des erreurs. Nous
ne devons pas avoir peur ! Ouvrons-nous à la lumière du Seigneur, Il nous
attend toujours pour nous aider à mieux voir, pour nous donner plus de lumière,
pour nous pardonner. N’oublions pas cela ! Confions notre chemin du carême à la
Vierge Marie, afin que nous aussi, comme l’aveugle guéri, avec la grâce du
Christ, nous puissions "venir à la lumière", aller plus avant vers la
lumière et renaître à une vie nouvelle.
Et n’oubliez pas aujourd’hui : à
la maison, prendre l’Evangile de Jean, chapitre 9, et lire cette histoire de
l’aveugle qui est devenu voyant et des présumés voyants qui se sont enfoncés
encore plus dans leur cécité.
A tous je souhaite un bon dimanche
et un bon déjeuner. Au-revoir !
2- Pères, soyez très proches de vos enfants !
2- Pères, soyez très proches
de vos enfants !
Catéchèse du 19 mars 2014
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, 19 mars, nous
célébrons la fête solennelle de saint Joseph, époux de Marie et patron de
l’Église universelle. Consacrons-lui donc cette catéchèse, à lui qui mérite
toute notre reconnaissance et notre dévotion, pour avoir su garder la Sainte
Vierge et son fils Jésus. Être gardien est la caractéristique de saint Joseph,
c’est sa grande mission, être gardien.
Aujourd’hui, je voudrais
reprendre ce thème, « être gardien », dans une perspective particulière, la
perspective éducative. Regardons Joseph comme le modèle de l’éducateur, qui a
su garder et accompagner Jésus dans son chemin de croissance « en sagesse, en
taille et en grâce », comme le dit l’Évangile de Luc. Il n’était pas le père de
Jésus : le père de Jésus était Dieu, mais il a servi de papa à Jésus, il a
servi de père à Jésus pour l’aider à grandir. Et comment l’a-t-il aidé à
grandir ? En sagesse, en taille et en grâce.
Partons de la taille, qui est la
dimension la plus naturelle, la croissance physique et psychologique. Joseph,
avec Marie, a pris soin de Jésus avant tout sur ce plan-là, c’est-à-dire qu’il
l’a « élevé », en se souciant qu’il ne manque pas de ce qui est nécessaire à un
sain développement. N’oublions pas que cette garde prévenante de la vie de
l’Enfant a comporté aussi la fuite en Égypte, la dure expérience de vivre comme
des réfugiés – Joseph a été un réfugié, avec Marie et Jésus – pour échapper à
la menace d’Hérode. Puis, une fois rentrés dans leur patrie et établis à
Jérusalem, il y a eu toute la longue période de la vie en famille. Pendant ces
années, Joseph a aussi appris à Jésus son travail, et Jésus a appris le métier
de menuisier, comme son père Joseph. C’est de cette façon que Joseph a élevé
Jésus.
Passons à la seconde dimension de
l’éducation de Jésus, celle de la « sagesse ». Joseph a été pour Jésus un
exemple et un maître de cette sagesse qui se nourrit de la Parole de Dieu. Nous
pouvons imaginer comment Joseph a enseigné à l’enfant Jésus à écouter les
Saintes Écritures, en particulier en l’accompagnant le samedi à la synagogue de
Nazareth. Et Joseph l’accompagnait pour que Jésus écoute la Parole de Dieu dans
la synagogue.
Et enfin, la dimension de la «
grâce ». Saint Luc nous dit encore, en se référant à Jésus : « La grâce de Dieu
était sur lui » (2,40). Ici, certainement, la part réservée à saint Joseph est
plus limitée, par rapport à ce qui concerne la taille et la sagesse. Mais ce
serait une grave erreur de penser qu’un père et une mère ne peuvent rien faire
pour éduquer leurs enfants à grandir dans la grâce de Dieu. Grandir en taille,
grandir en sagesse, grandir en grâce : c’est le travail qu’a fait Joseph avec
Jésus, le faire grandir dans ces trois dimensions, l’aider à grandir.
Chers frères et sœurs, la mission
de saint Joseph est certainement unique et inimitable, parce que Jésus est
absolument unique. Et pourtant, en gardant Jésus, en lui apprenant à grandir en
taille, en sagesse et en grâce, Joseph est le modèle de tous les éducateurs, en
particulier de tous les pères. Saint Joseph est le modèle de l’éducateur et du
papa, du père. Je confie donc à sa protection tous les parents, les prêtres –
qui sont pères – et ceux qui ont une tâche d’éducation dans l’Église et dans la
société. D’une manière particulière, je voudrais saluer aujourd’hui, en ce
'jour du papa', tous les parents, tous les papas : je vous salue de tout cœur !
Voyons… y a-t-il des papas sur la place ? Levez la main, les papas ! Tous ces
papas ! Tous mes vœux, tous mes vœux en ce jour qui est le vôtre ! Je demande
pour vous la grâce d’être toujours très proches de vos enfants, en les laissant
grandir, mais proches, proches ! Ils ont besoin de vous, de votre présence, de
votre proximité, de votre amour. Soyez pour eux comme saint Joseph : des
gardiens de leur croissance en taille, en sagesse et en grâce. Des gardiens de
leur chemin, des éducateurs. Marchez avec eux. Et par cette proximité, vous
serez de véritables éducateurs. Merci pour tout ce que vous faites pour vos
enfants, merci ! Tous mes vœux, et bonne fête des papas à tous les papas qui
sont ici, à tous les papas ! Que saint Joseph vous bénisse et vous accompagne.
Et certains d’entre nous ont perdu leur papa, il est parti, le Seigneur l’a
rappelé ; il y en a beaucoup sur la place qui n’ont pas leur papa. Nous pouvons
prier pour tous les papas du monde, pour les papas vivants et aussi pour ceux
qui sont morts et pour nos proches, et nous pouvons le faire ensemble, chacun
de nous se souvenant de son papa, qu’il soit vivant ou mort. Et prions le Père,
notre grand papa à tous : un « Notre Père », pour nos papas. Notre Père…
Et tous mes vœux aux papas !
1- Vos enfants savent-ils faire le signe de la croix? Examen de conscience de carême
1- Vos enfants savent-ils faire le signe de la croix? Examen de
conscience de carême
Catéchèse du 5 mars 2014
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, mercredi des Cendres, commence l’itinéraire du
Carême de quarante jours qui nous conduira au Triduum pascal, mémoire de la
passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, cœur du mystère de notre
salut. Le Carême nous prépare à ce moment si important, c’est pourquoi c’est un
temps « fort », un tournant qui peut favoriser en chacun de nous le changement,
la conversion. Nous avons tous besoin de nous améliorer, de changer en mieux.
Le carême nous y aide et ainsi, nous sortons de nos habitudes lasses et de
cette accoutumance paresseuse au mal qui est un piège. Pendant le temps du
Carême, l’Église nous adresse deux invitations importantes : acquérir une
conscience plus vive de l’œuvre rédemptrice du Christ ; vivre notre baptême de
manière plus engagée.
La conscience des merveilles que le Seigneur a faites pour
notre salut dispose notre esprit et notre cœur à une attitude de gratitude
envers Dieu, pour ce qu’il nous a donné, pour tout ce qu’il accomplit en faveur
de son peuple et de toute l’humanité. C’est le point de départ de notre
conversion qui est la réponse reconnaissante au mystère extraordinaire de
l’amour de Dieu. Quand nous voyons cet amour que Dieu a pour nous, nous
éprouvons le désir de nous approcher de lui : c’est cela la conversion.
Vivre pleinement notre baptême – c’est la seconde invitation
– signifie ne pas nous habituer aux situations de dégradation et de misère que
nous rencontrons lorsque nous marchons dans les rues de nos villes et de nos
pays. Il y a un risque d’accepter passivement certains comportements et de ne
pas nous étonner face aux tristes réalités qui nous entourent. Nous nous
habituons à la violence, comme si c’était une nouvelle quotidienne normale ;
nous nous habituons à voir des frères et sœurs dormir dans la rue, qui n’ont
pas de toit pour se mettre à l’abri. Nous nous habituons aux réfugiés en quête
de liberté et de dignité, qui ne sont pas accueillis comme ils le devraient.
Nous nous habituons à vivre dans une société qui prétend se passer de Dieu,
dans laquelle les parents n’enseignent plus à leurs enfants à prier ni à faire
le signe de croix. Je vous pose la question : vos enfants, vos jeunes enfants
savent-ils faire le signe de croix ? Réfléchissez. Vos petits-enfants
savent-ils faire le signe de croix ? Vous le leur avez enseigné ? Réfléchissez
et répondez dans votre cœur. Ils savent prier le Notre Père ? Ils savent prier
la Vierge Marie avec le Je vous salue Marie ? Réfléchissez-y et répondez. Cette
accoutumance à des comportements non chrétiens par facilité nous anesthésie le
cœur !
Le carême nous rejoint comme un temps providentiel pour
changer de route, pour récupérer notre capacité à réagir face à la réalité du
mal qui nous lance toujours un défi. Le carême doit se vivre comme un temps de
conversion, de renouvellement personnel et communautaire en nous approchant de
Dieu et avec une adhésion confiante à l’Évangile. De cette façon, il nous
permet aussi de regarder nos frères et leurs besoins avec un regard neuf. C’est
pour cela que le carême est un moment favorable pour nous convertir à l’amour
de Dieu et de notre prochain ; un amour qui sache faire sienne l’attitude de
gratuité et de miséricorde du Seigneur, qui « s’est fait pauvre pour nous
enrichir de sa pauvreté » (cf. 2 Co 8,9). En méditant les mystères centraux de
la foi, la passion, la croix et la résurrection du Christ, nous nous rendrons
compte que le don sans mesure de la Rédemption nous a été donné par une
initiative gratuite de Dieu.
Action de grâce envers Dieu pour le mystère de son amour
crucifié ; foi authentique, conversion et ouverture du cœur à nos frères :
voilà les éléments essentiels pour vivre le temps du carême. Sur ce chemin,
nous voulons invoquer avec une confiance particulière la protection et l’aide
de la Vierge Marie : que ce soit elle, la première croyante dans le Christ, qui
nous accompagne dans ces jours de prière intense et de pénitence, pour parvenir
à célébrer, purifiés et renouvelés dans l’esprit, le grand mystère de la Pâque
de son fils. Merci !
Homélie pour la Messe des Cendres