Le Cardinal Henri De Lubac - Théologien et grand spirituel |
Le narcissisme du théologien qui
ne prie pas
Audience aux instituts
pontificaux confiés aux jésuites
Discours du pape François
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l’épiscopat
et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,
Je vous souhaite à tous la
bienvenue, professeurs, étudiants et personnel non enseignant de l’Université
pontificale grégorienne, de l’Institut biblique pontifical et de l’Institut
pontifical oriental. Je salue le Père Nicolás, le Père délégué et tous les
autres Supérieurs, ainsi que les cardinaux et évêques présents. Merci !
Les institutions auxquelles vous
appartenez, réunies en Consortium par le pape Pie XI en 1928, sont confiées à
la Compagnie de Jésus et partagent le même désir de « militer sous l’étendard
de la Croix les combats de Dieu et servir le Seigneur seul et l’Église, son
épouse, sous le pontife romain, vicaire du Christ en terre » (Formule, 1). Il
est important que se développent entre elles la collaboration et les synergies,
en conservant la mémoire de l'histoire tout en assumant le présent et regardant
vers le futur – le Père général disait « regarder loin », vers l’horizon – en
regardant vers le futur avec créativité et imagination, en cherchant à avoir
une vision globale de la situation et des défis actuels et une manière commune
de les affronter, et en trouvant sans peur des voies nouvelles.
Le premier aspect que je voudrais
souligner en pensant à votre engagement, que ce soit comme enseignants ou comme
étudiants, ou encore en tant que personnel de ces Institutions, est la
valorisation du lieu même dans lequel vous vous trouvez pour travailler et
étudier, c’est-à-dire la ville et surtout l’Église de Rome. Il y a un passé et
il y a un présent. Il y a les racines de la foi : la mémoire des apôtres et des
martyrs ; et il y a l’« aujourd’hui » de l’Église, il y a le chemin actuel de
cette Église qui préside à la charité, au service de l’unité et de
l’universalité. Tout ceci n’est pas quelque chose d’acquis ! Cela doit être
vécu et valorisé, avec un engagement en partie institutionnel et en partie
personnel, laissé à l’initiative de chacun.
Mais en même temps, vous apportez
ici la diversité des Églises auxquelles vous appartenez, de vos cultures. C’est
une des richesses inestimables des Institutions romaines. C’est une occasion précieuse
de croissance dans la foi et d’ouverture de l’esprit et du cœur à l’horizon de
la catholicité. Dans cet horizon, la dialectique entre « centre » et «
périphérie » assume une forme propre, qui est la forme évangélique, selon la
logique d’un Dieu qui rejoint le centre en partant de la périphérie et pour
retourner à la périphérie.
L’autre aspect que je voulais
partager est celui du rapport entre études et vie spirituelle. Votre engagement
intellectuel, dans l’enseignement et dans la recherche, dans l’étude et dans la
formation la plus ample, sera d’autant plus fécond et efficace qu’il sera
davantage animé par l’amour du Christ et de l’Église, que la relation entre
étude et prière sera solide et harmonieuse. Ce n’est pas quelque chose
d’ancien, c’est le centre !
C’est l’un des défis de notre
temps : transmettre le savoir et en offrir une clé de compréhension vitale, et
non une accumulation de notions sans lien entre elles. Il faut une véritable
herméneutique évangélique pour mieux comprendre la vie, le monde et les hommes,
non pas une synthèse mais une atmosphère spirituelle de recherche et de
certitude basée sur les vérités de la raison et de la foi. La philosophie et la
théologie permettent d’acquérir les convictions qui structurent et fortifient l’intelligence
et éclairent la volonté… mais tout ceci est fécond uniquement si on le fait
avec un esprit ouvert et à genoux. Le théologien qui se satisfait dans sa
pensée complète et fermée est un médiocre. Le bon théologien et philosophe a
une pensée ouverte, c’est-à-dire incomplète, toujours ouverte au maius de Dieu
et de la vérité, toujours en développement, selon la loi que saint Vincent de
Lérins décrit ainsi : « annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur
aetate » (Commonitorium primu, 23 : PL 50, 668) : elle se consolide avec les
années, se dilate avec le temps, s’approfondit avec l’âge. Voilà le théologien
qui a l’esprit ouvert. Et le théologien qui ne prie pas et n’adore pas Dieu
finit par sombrer dans le narcissisme le plus abject. Et cela, c’est une
maladie ecclésiastique. Le narcissisme des théologiens, des penseurs fait
beaucoup de mal, il est abject.
L’objectif des études dans toutes
les universités pontificales est ecclésial. La recherche et l’étude doivent
être intégrées dans la vie personnelle et communautaire, avec l’engagement
missionnaire, la charité fraternelle et le partage avec les pauvres, avec le
souci de la vie intérieure dans sa relation avec le Seigneur. Vos instituts ne
sont pas des machines à produire des théologiens et des philosophes ; ce sont
des communautés dans lesquelles on grandit, et la croissance se fait en
famille. Dans la famille universitaire, il y a le charisme de gouvernement,
confié aux supérieurs, et il y a la diaconie du personnel non enseignant, qui
est indispensable pour créer un climat familial dans la vie quotidienne, et
aussi pour susciter des comportements d’humanité et de sagesse concrète, qui
feront des étudiants d’aujourd’hui des personnes capables de construire
l’humanité, de transmettre la vérité dans sa dimension humaine, de savoir que
sans la bonté et la beauté d’appartenir à une famille de travail, on finit par
devenir un intellectuel sans talent, un moraliste sans bonté, un penseur auquel
manque la splendeur de la beauté et qui est simplement « maquillé » de
formalismes. Le contact respectueux et quotidien avec la vie laborieuse et le
témoignage des hommes et des femmes qui travaillent dans vos Institutions vous
donnera cette part de réalisme si nécessaire pour que votre science soit une
science humaine et non de laboratoire.
Chers frères, je confie chacun de
vous, vos études et votre travail, à l’intercession de Marie, Sedes Sapientiae,
de saint Ignace de Loyola et de vos saints patrons. Je vous bénis de tout cœur
et je prie pour vous. Vous aussi, s’il vous plaît, priez pour moi ! Merci.
Maintenant, avant de vous donner
la bénédiction, je vous invite à prier la Vierge Marie, notre Mère, pour
qu’elle nous aide et nous garde. Ave Maria…