Par Jean-Marie Guénois
Le président de l'épiscopat Mgr
Pontier, répond à une quarantaine de victimes d'abus sexuels et spirituels et
met en cause quatorze «communautés nouvelles».
L'Église catholique, comme toute
institution, n'aime pas reconnaître publiquement des scandales internes. C'est
pourtant ce que vient de faire le président de la Conférence des évêques de
France, Mgr Georges Pontier, en répondant officiellement à un groupe d'une
quarantaine de «victimes de dérives sectaires au sein de différents mouvements
d'Église et congrégations religieuses» qui avaient adressé aux évêques réunis
en assemblée plénière la semaine dernière à Lourdes un «appel» pour dénoncer des «dégâts» humains dont ils ont été
victimes dans le cadre des communautés dites «nouvelles» et dont les effets
décrits peuvent aller de la «dépression», au «suicide» ou la «destruction de
personnalités».
La nouveauté de cette affaire ne
réside pas tant dans la dénonciation d'abus sexuels que quelques-uns des
plaignants ont subis mais dans celle d'«abus spirituel», un concept encore peu
usité. Le fondateur, ou le supérieur, utilise son aura et son pouvoir spirituel
sur des personnalités souvent jeunes et fragiles, pour enfermer leur liberté
dans une dépendance totale afin
d'obtenir d'elles le silence absolu couvrant d'éventuels abus sexuels ou autres
abus de pouvoir.
La seconde originalité tient au
fait que c'est la première fois que sont mises ainsi officiellement en cause
quatorze «communautés nouvelles» qui ont été et continuent d'être, en France
notamment, les symboles de la «nouvelle évangélisation». Elle représente une
floraison d'initiatives pastorales, souvent d'inspiration charismatique mais
pas toujours, qui a comme réveillé le paysage catholique français ces trente
dernières années et qui en fournit toujours la majeure partie des forces vives.
Sur les quatorze noms de
communautés cités par les victimes, seuls cinq à ce jour ont été l'objet de
procès canoniques ou de révélations publiques, objectifs et indiscutables: les Béatitudes (suspension du
fondateur, Frère Ephraïm en 2008), la
Légion du Christ (suspension du fondateur, le père Maciel, en 2006), Points-Cœur (condamnation canonique du
fondateur père Thierry de Roucy en 2011), la Communauté Saint-Jean (accusations officiellement reconnues en mai
2013 par l'ordre contre le fondateur le père Philippe, décédé), les anciens
collaborateurs du père Labaky (interdiction canonique de célébration en juin
2013).
Dans sa lettre, Mgr Pontier évite
donc le risque d'amalgame que cette démarche collective contiendrait si l'on
réduisait le dynamisme de ces communautés nouvelles aux graves fautes de
quelques individus, fussent-ils des fondateurs, mais il souligne la question centrale
de la «liberté spirituelle». En clair: la
manipulation des consciences. «L'Évangile du Christ que nous voulons
servir, rétorque-t-il, est une école de liberté spirituelle.»
Au nom «de tous les évêques», il
reconnaît que des «pratiques» contraires à ce respect des consciences «nous
heurtent et nous choquent». Il rappelle que par le passé les évêques «ont
alerté les fidèles mais aussi les familles sur le danger de certains groupes»
et qu'ils ont «interpellé des responsables» mais que «bien souvent» ils n'avaient
alors reçu que «méfiance et silence» pour réponse.
Le président des évêques s'engage
donc, auprès des victimes, à les aider dans leur «reconstruction» en demandant
à tous les évêques de prêter à ces situations une «oreille attentive et
compréhensive» - le service compétent de l'épiscopat a été de fait réformé en
ce sens mercredi - et appelle les victimes «lorsqu'il y a matière» à «porter
plainte».
L'un des signataires de l'appel
ne tient pas à se mettre en avant puisque les signataires forment un collectif
mais son autorité morale reconnue a joué un rôle décisif dans cette prise en
compte épiscopale. Il s'agit d'Yves Hamant, professeur d'université émérite,
spécialiste de la civilisation russe qui fut l'un des proches de Soljenitsyne.
Sa famille a été concernée par les agissements du père Thierry de Roucy, fondateur du réseau Points-Cœur (qui envoie
des jeunes dans les pires banlieues du monde pour un «ministère de compassion»
avec les plus pauvres). Ce religieux a été condamné le 21 juin 2011, par le
tribunal ecclésiastique de Lyon pour «abus sexuel», «abus de pouvoir» et
«absolution de la victime» - en l'occurrence, son adjoint, un prêtre majeur qui
a subi sept années d'emprise et a fini par s'opposer.
Si Yves Hamant a décidé d'agir, ce n'est pas «pour nuire à l'Église mais
pour avertir et protéger les jeunes, dénoncer la manipulation des consciences
et que les fruits portés par ces œuvres ne justifient plus l'omerta imposée
dans les communautés, car ce sont des vies entières qui sont détruites en silence.»
Il demande aussi le respect du droit canonique «séparant le for interne et le
for externe» pour la liberté des consciences. En un mot que les supérieurs des
communautés n'en soient plus, aussi, les confesseurs.