Bienheureux Jacques-désiré Laval
prêtre, missionnaire
(1803-1864)
Il est le premier missionnaire de la Congrégation du père
Libermann, le Saint-Coeur de Marie.
Il est parti en mission avant même d'avoir terminé son
noviciat.
Le père Laval est un personnage central de l'Île Maurice. Il
est encore aujourd'hui la personne qui réalise l'unité de l'île malgré la
diversité de cultures, de langues et de religions.
En 1979, il a été béatifié par le pape Jean-Paul II.
L'enfance et les études
Jacques Laval naquit
à Croth, en Normandie, le 18 septembre 1803. Son père était un fermier aisé,
maire du village. Il n'avait que sept ans quand sa mère mourut prématurément. A
l'âge de quatorze ans, il alla vivre chez un oncle qui était prêtre et qui
préparait quelques garçons à entrer au séminaire ou au collège, en leur donnant
des leçons particulières.
Après trois ans chez son oncle, Jacques entra au
séminaire-collège d'Evreux. Il ne s'y plut pas et ne réussit guère dans ses
études. Aussi voulut-il rentrer à la maison. Son père, mécontent, l'assigna aux
plus rudes travaux de la ferme, si bien que Jacques demanda à reprendre ses
études. Il partit pour Paris, entra au collège Stanislas, se mit au travail
avec application et, en 1825, il obtint son baccalauréat.
La Vie du Bienheureux Père Laval
Médecin en Normandie
Il entreprit ensuite, à la Sorbonne, des études de médecine.
Au bout de cinq ans il fut reçu docteur, avec une thèse sur le rhumatisme
articulaire. De retour en Normandie, il ouvrit un cabinet, d'abord à
Saint-André, dans son pays natal, puis à Ivry-la-Bataille. Il devint vite
populaire. Charitable et peu exigeant pour ses honoraires, il était aimé des
pauvres. Il pouvait se contenter des revenus de l'héritage laissé par ses
parents (son père était mort en 1824).
À Paris, il était resté catholique sincère et pratiquant,
mais un changement se produisit en lui dans la petite ville où il habitait
désormais. Peu à peu il abandonna la pratique religieuse. Élégant, recherchant
le confort, et même le luxe, il était de toutes les réunions mondaines. Bien
que médiocre cavalier, il mettait sa vanité à monter des chevaux fringants.
Mais sa conscience n'était pas en paix: lui-même avoue: «Je résistais à Dieu».
Finalement, à l'automne 1834, il se convertit radicalement, revint à la
pratique religieuse, passant même de longues heures en méditation.
Prêtre et curé de paroisse
La pensée de se faire prêtre, qu'il avait eue dans son
enfance, lui revint. En juin 1835, il entra au séminaire Saint-Sulpice à Paris.
Les Sulpiciens l'envoyèrent dans leur maison d'Issy, pour y repasser sa
philosophie et être prêt à aborder la théologie en septembre. Bien qu'il ne fût
pas facile de reprendre des études à trente-deux ans et qu'il eût plusieurs
fois la tentation de se retirer, il persévéra jusqu'à la fin et fut ordonné
prêtre en décembre 1838. Il exerça son ministère sacerdotal pendant deux ans, à
Pinterville, près de Louviers.
Vocation missionnaire
Au printemps 1840, il reçut la visite de séminaristes de
Saint-Sulpice qui lui apprirent que deux de ses anciens amis de Paris, Le
Vavasseur et Tisserant, songeaient à établir une oeuvre spécialement destinée à
l'apostolat parmi les esclaves noirs des colonies. Jacques Laval confia alors à
ses visiteurs qu'il souhaiterait faire partie de l'oeuvre naissante et se
consacrer lui aussi à l'Oeuvre des Noirs. Ses propos étaient à la fois sincères
et sans conséquence. Ses visiteurs, venus à Pinterville sans mission, de retour
à Saint-Sulpice, ne jugèrent pas utile d'en parler.
À cette époque, le projet de fondation d'une société de
missionnaires pour la conversion des Noirs n'était pas très avancé, mais le
Père Libermann venait de recevoir les encouragements de la Propagande.
À la mi-juin 1840 survint l'événement qui allait tout
déclencher: le passage à Paris de Mgr William Collier, récemment nommé vicaire
apostolique de l'île Maurice. Maurice est sous domination anglaise, mais la
langue de presque tous les catholiques de l'île est le français. Mgr Collier se
proposait d'emmener avec lui des prêtres anglais et des prêtres français. Dans
ses recherches, il prit contact avec le supérieur de Saint-Sulpice qui le mit
en relation avec Le Vavasseur. Celui-ci lui parla de la mission de Libermann et
de l'espérance de tous les amis de l'Oeuvre des Noirs de voir celle-ci se
transformer en une vraie congrégation: la Société du Saint-Cœur de Marie.
Finalement, on jugea préférable que Le Vavasseur se destine
à son pays d'origine, Bourbon, et c'est Tisserant qui fut désigné pour Maurice.
Mgr Collier lui conseilla d'emmener avec lui un compagnon. C'est alors
qu'intervint l'un des visiteurs de Pinterville, rapportant que M. Laval «avait
témoigné que semblable ministère serait bien conforme à l'attrait intérieur
qu'il ressentait». Averti, Jacques Laval se réjouit de la proposition qui lui
était faite et le 17 novembre 1840, il arriva à Saint-Sulpice, pour se préparer
au départ par une retraite.
Le départ pour l'île Maurice
Après un certain nombre de péripéties, son départ, de
Londres, avec Mgr Collier, sur le Tanjora, n'eut lieu que le 4 juin 1841. Il
était accompagné de trois autres prêtres, un Anglais, un Irlandais et un
Savoyard. Finalement, M. Tiserrand restait en France. Bien que Jacques Laval ne
fût pas passé par le noviciat de la Congrégation du Saint-Coeur de Marie (qui,
en fait n'ouvrit ses portes qu'en septembre 1841), il faut bien préciser qu'il
en fut toujours considéré comme membre: en fait foi le registre ouvert à La
Neuville, en août 1842. D'ailleurs, avant de partir, il avait abandonné ses
biens à la jeune Société, par l'intermédiaire de Le Vavasseur et c'est grâce à
cette générosité que l'on put subvenir, pendant plusieurs années aux besoins de
l'oeuvre.
De Londres à Maurice, la route maritime contournait
l'Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Le lundi 13 septembre, vers 15 heures,
après cent jours de traversée, le Tanjora parvint à Port-Louis. Jacques Laval
était à pied d'oeuvre pour commencer à l'île Maurice un apostolat qui allait
durer vingt-trois ans.
Le Père Laval - Documentaire KTO
La situation à l'île Maurice
L'île Maurice, qui avait été l'île de France de 1715 à 1810,
était alors une colonie anglaise, mais la langue française y était restée la
plus couramment employée. Le gouvernement britannique avait aussi pris
l'engagement de respecter les arrêtés concordataires de 1802, concernant
l'Eglise catholique. Malgré cela, en 1831, sur les neuf prêtres qui oeuvraient
alors à Maurice, on comptait trois Anglais, quatre Italiens et seulement deux
Français.
L'Angleterre abolit l'esclavage dans toutes ses colonies en
1835. A Maurice, 66 000 esclaves furent ainsi émancipés, mais ils abandonnèrent
massivement les plantations, symbole de leur servitude. On fit alors appel à
l'immigration indienne: 24 000 travailleurs originaires de Madras, Bombay et
Calcutta étaient déjà installés à Maurice, quand, en 1839, le gouvernement
indien fit cesser ce recrutement.
Au moment où Jacques Laval s'installait à Port-Louis pour
exercer son apostolat, la population y était d'une grande diversité. Parmi ses
premiers catéchumènes il y avait des Noirs, anciens esclaves, originaires
d'Afrique, mais aussi, des Malgaches, des Mozambicains, des Indiens, des Malaisiens,
des Commoriens.
Auprès des Blancs, les débuts du P. Laval furent difficiles
et souvent pénibles. Mais, passés de l'aversion à l'estime, les sentiments des
Blancs évolueront peu à peu vers la confiance et, pour certains, vers une
profonde vénération.
Des méthodes très concrètes
Renonçant au français, parlé par la classe supérieure et par
les autres prêtres dans leurs sermons, le P. Laval se mit tout de suite à
apprendre le créole, usité dans les masses populaires, sans tenir compte de
leurs origines ethniques. Au lieu d'aborder les jeunes, il s'intéressa aux
adultes. Il pensait que, sans une famille chrétienne, la jeunesse ne lui
donnerait qu'une adhésion fugitive.
Les débuts ne furent pas faciles. L'évêque fit construire
pour lui une maisonnette en bois, où Laval passa la plus grande partie de son
temps, enseignant à des individus ou à des petits groupes les rudiments de la
foi. Le soir, il accueillait des auditoires plus nombreux et bientôt, jusqu'à
deux cents personnes vinrent l'écouter. En 1844, il rassemblait environ trois cents
bons chrétiens et un grand nombre d'autres se préparaient à la première
communion ou au mariage.
Il connut alors une période d'opposition. Il fut insulté et
menacé et pendant quelque temps ses instructions du soir durent avoir lieu sous
la protection de deux policiers. Mais cela n'empêcha pas le développement de
ses oeuvres et il dut se chercher des collaborateurs.
Catéchistes et communautés
Il donna alors sa confiance aux Noirs eux-mêmes, bien que la
plupart fussent illettrés. Son premier catéchiste fut un jeune homme d'une
vingtaine d'années, si infirme qu'il se déplaçait sur les mains et les genoux.
Assez vite des petites communautés s'organisèrent partout autour des
catéchistes. Elles construisaient chapelles ou lieux de réunions, dont
plusieurs par la suite devinrent des paroisses. Des femmes, qu'il appelait ses
conseilleuses, l'assistaient, non seulement pour le catéchisme, mais surtout
pour les visites des malades.
On a gardé le souvenir de certains parmi les premiers
collaborateurs du P. Laval. Le plus connu était Emilien Pierre, qui catéchisa
les pauvres pendant plus de vingt ans, «en tout lieu et à toute heure du jour».
On s'adressait volontiers à Jean-Marie Prosper, charpentier, pour des missions
de confiance. Jean-Marie Mézelle, ouvrier maçon, servait chaque matin, à cinq
heures la messe du P. Laval et celui-ci appréciait sa simplicité, sa bonhomie
et sa vie exemplaire. On n'a pas oublié non plus le nom de Ma Céleste, dont le
zèle s'exerçait surtout auprès des malades pour les préparer à bien mourir.
Jacques Laval ne s'en tint pas à l'instruction et à
l'éducation religieuse. Il encouragea les convertis de ces petites communautés
à élaborer des programmes d'assistance. Il plaçait de nouveau sa confiance dans
la générosité et la compétence de ces anciens esclaves sans instruction.
Ceux-ci formèrent leurs propres Caisses de Charité, dont ils choisirent
assistants et trésoriers. Dans les réunions mensuelles, ceux-ci déterminaient
qui avait besoin d'être assisté et quelle contribution chacun fournirait. Laval
lui-même restait en dehors des collectes et de leur répartition. Il se bornait
à soumettre à toute la communauté un rapport mensuel à la messe du dimanche.
L'administration du sacrement de pénitence devint
progressivement la principale occupation de Laval. Quatre ans après son arrivée
à Maurice, un mouvement de masse vers l'Eglise commença à se produire.
Jacques Laval et ses confrères
Les mauvaises dispositions du gouvernement anglais
retardaient l'introduction de nouveaux missionnaires du Saint-Coeur de Marie à
Maurice et Laval dut attendre décembre 1846 pour recevoir l'aide d'un premier
confrère, le Père Prosper Lambert. Trois autres suivirent bientôt : le Père
François Thévaux, en octobre 1847, le Père François Thiersé, en septembre 1848
et le Père Jean-Marie Baud, en janvier 1850.
Il n'est pas possible de rendre compte en quelques lignes
des activités de Jacques Laval et de ses confrères. En voici cependant quelques
aspects, selon divers témoignages.
À la fin de 1847, Laval, Lambert et Thévaux passent de
quatre à huit heures par jour au confessionnal et entendent près de huit mille
confessions par mois. Le Père Le Vavasseur, après une visite à Maurice, écrit :
«Je suis épouvanté à la vue d'un tel travail... mais je me borne à les conjurer
de prendre tous les moyens compatibles avec le travail qu'ils ont, pour
conserver leur santé».
En 1852, Laval écrit à Libermann : «Nous avons eu à peu près
trois mille communions, tant pour le Port que Sainte-Croix et Petite Rivière,
avec une quantité de nouveaux convertis, Créoles, Malgaches, Mozambiques et
quelques Indiens. Il nous faudrait de la place dans l'église pour les mettre et
nous n'en avons point. Le premier besoin de ce pauvre pays, ce sont des
églises. Le bien est arrêté net à cause de ça».
En même temps il fait part de son étonnement de voir ses
confrères métamorphosés en architectes : «Baud agrandit une nouvelle fois la
chapelle Sainte-Croix et dans le faubourg de Cassis il entreprend de remplacer
un ancien magasin qui servait d'oratoire, en une église de mille deux cents
places. A la Montagne Longue, Lambert reprend entièrement, en plus solide et
plus grand, la chapelle Notre-Dame de Délivrance. Dans le quartier du Grand
Port, Thiersé n'arrête pas. A peine a-t-il fini une chapelle d'un côté qu'il en
commence de l'autre».
Supérieur malgré lui
Pour ses confrères, dans le ministère sacerdotal, Jacques
Laval est un exemple et un entraîneur. Mais il n'avait aucune idée de la vie
communautaire : n'ayant pas fait de noviciat, il n'était pas préparé à la
pratiquer.
À la fin de l'année 1848, avait eu lieu l'union entre la
Congrégation du Saint-Esprit et celle du Saint-Cœur de Marie, union qui
comportait la «disparition» de cette dernière. Comme beaucoup de ses confrères,
Jacques Laval partageait sur ce point l'avis du Père Le Vavasseur qui écrivait
: «J'ai la plus grande peur, pour ne pas dire la certitude que cette fusion
soit une déplorable confusion».
Cette réaction s'expliquait par le manque d'informations.
Après les précisions données par Libermann dans des lettres qui mettaient
souvent longtemps à parvenir, le ton changea: «J'approuve de tout mon coeur la
fusion, disait le même Le Vavasseur. Je puis vous assurer de l'adhésion
parfaite de tous nos confrères de Bourbon et de Maurice».
Nommé supérieur de sa communauté, le Père Laval n'avait
accepté cette charge qu'avec réticence et il n'y fut jamais à l'aise. «Le Père
Laval, disait un de ses confrères, n'est guère fait pour être membre d'une
communauté et surtout pour en être supérieur. Il n'aime pas les règles, s'en
soucie peu pour lui et pour les autres. Il n'a jamais fait de noviciat et n'a
pas vécu en communauté. Pourvu que le travail marche, c'est tout ce qu'il lui
faut». Tous n'étaient pas aussi sévères.
Laval reconnaît lui-même : «Le défaut principal vient de moi
qui occupe une place dont je suis incapable de bien remplir les fonctions, vu
que je n'en connais pas bien les devoirs, n'ayant pas eu le bonheur de vivre en
communauté. Quand on manque par les fondements, c'est bien difficile de bâtir
l'édifice». Est-ce un défaut si grave de n'être pas bon supérieur, quand on le
reconnaît avec tant d'humilité ?
Les dernières années
|
Mort du Père Laval |
Quinze ans d'un labeur incessant, en même temps que de
sévères pratiques de pénitence, suffirent à épuiser les forces du fragile
missionnaire. En 1856, puis de nouveau en 1857, il eut une attaque pendant
qu'il écoutait les confessions. L'année suivante, nouvelle attaque, en chaire
cette fois, bientôt suivie de deux autres. Laval comprit que son ministère
actif touchait à sa fin. Dès lors, il ne put guère qu'offrir ses prières et ses
souffrances pour ses bien-aimés Mauriciens. Cependant, quand il se sentait un
peu mieux, il s'arrangeait pour donner, de temps en temps, quelques
instructions aux petits enfants et à quelques adultes.
Habituellement, on pouvait le trouver dans un coin, près de
l'autel, en communication silencieuse avec le divin Maître à qui il avait
consacré sa vie. La mort vint le prendre le 9 septembre 1864, en la fête de
saint Pierre Claver, cet autre grand apôtre des esclaves noirs.
Il n'y avait eu personne pour l'accueillir à son arrivée à
Maurice. Il y en eut 40 000 pour accompagner à sa tombe leur Père bien-aimé. Le
petit monument qu'on y érigea devint vite un centre de pèlerinages fréquenté
toute l'année. Toutes les catégories religieuses de l'île, hindous, musulmans,
confucianistes et chrétiens ont leur jour de fête en son honneur; mais le 9
septembre est la fête de tous.
Le 29 avril 1979, le pape Jean-Paul Il a porté à son comble
la joie des Mauriciens, en plaçant officiellement sur les autels le Bienheureux
Jacques Laval.
Jean Ernoult